Entretien avec Christopher Sullivan, président des Acteurs de la Compétence
Quelles sont vos principales craintes quant à la formation et l’insertion des jeunes dans l’emploi, après l’annonce de la baisse du financement de l’apprentissage ?
Nous regrettons que la formation et l’insertion des jeunes dans l’emploi soient appréhendées uniquement sous un prisme de coupes budgétaires. Investir dans notre jeunesse est plus que jamais essentiel pour éviter les fractures sociales, porter l’émancipation de tous les jeunes, sans discrimination quant à leurs origines sociales, et répondre aux transformations économiques du pays. L’apprentissage est une voie d’excellence pour l’insertion dans l’emploi. Le chômage des jeunes a baissé de 5 points, mais il reste très élevé : à plus de 17 % en 2023. Ce n’est donc pas le bon moment pour freiner l’essor de l’apprentissage, qui est un moteur d’intégration et d’ascension sociale. Le risque est aussi celui de la fermeture de sections d’apprentissage, de licenciements dans les CFA et de la disparition d’une pluralité de l’offre de formation dans les territoires alors que de nombreux métiers sont en tension et que les TPE et PME peinent à recruter aussi sur des métiers transverses. Ne perdons pas le sens de cette politique publique qui a prouvé son efficacité : rapprocher le monde éducatif du monde de l’entreprise, lutter contre le manque de qualification, offrir aux jeunes les moyens de financer leurs études et répondre aux besoins des entreprises.
« Nous allons publier à l’automne des travaux scientifiques et un guide de bonnes pratiques pour l’efficacité en formation des adultes »
L’efficacité pédagogique est au cœur de vos travaux. Comment la renforcer pour répondre aux grandes transitions actuelles ?
Étant un secteur économique à part entière, notre filière doit elle-même s’adapter aux grandes transitions actuelles (technologiques, environnementales, RH, sociales, etc.). Notre fédération, en tant que 1ère organisation représentative, a joué un rôle central dans la signature d’un Engagement de développement de l’emploi et des compétences (EDEC) au sein de notre branche, visant à soutenir nos organisations dans leur conduite du changement, notamment leur démarche RSE. Nous travaillons également à l’innovation des pratiques pédagogiques au sein de notre Club R&D dédié. Nous allons ainsi publier à l’automne des travaux scientifiques et un guide de bonnes pratiques pour l’efficacité en formation des adultes.
« l’ia peut être un enrichissement remarquable dans la création de contenus et supports pédagogiques »
De quelle manière l’IA va-t-elle faire évoluer les métiers de la formation ?
Comme dans tous les secteurs économiques, cette évolution technologique automatise des tâches administratives (calendriers de formation, suivi des apprenants, etc.), permettant ainsi aux formateurs de se concentrer davantage sur l’objectif pédagogique. L’IA aide aussi à sécuriser les parcours et à anticiper les risques de décrochage en intervenant plus en amont et de façon plus ciblée pour lutter contre les ruptures. Enfin, l’IA peut être un enrichissement remarquable dans la création de contenus et supports pédagogiques (individualisation, facilité d’accès aux contenus, etc.). Néanmoins, l’IA n’est pas le cœur de la pédagogie, elle est à son service. L’humain reste le meilleur vecteur de transmission.
Avec l’allongement de la vie professionnelle, comment mieux accompagner les transitions et reconversions des seniors ?
Face aux enjeux de rallongement de la vie professionnelle, de l’accélération des mutations économiques, l’emploi des seniors doit être appréhendé dans un cadre global de reconversion des actifs. La seconde partie de carrière doit en effet pouvoir s’anticiper et se préparer avec des outils flexibles et simples à activer à tout moment. Nous avons donc imaginé un dispositif
permettant à tout actif (demandeur d’emploi ou salarié) de se reconvertir tout au long de sa carrière pour faciliter le maintien dans l’emploi y compris à l’approche de la retraite.
Nous portons ainsi dans le débat public un « Projet Unique de Reconversion », qui a vocation à permettre d’acquérir les compétences pour :
• changer de métier ;
• répondre au projet de transformation de son entreprise ;
• occuper un emploi dans une autre entreprise.
Notre Projet Unique de Reconversion comporte 2 volets :
• l’initiative co-construite salarié / employeur (qui fusionne et remplace les dispositifs de reconversions actuels avec maintien du contrat de travail et de la rémunération, et avec un renforcement des prestations d’accompagnement) ;
• l’initiative individuelle avec le maintien du projet de transition professionnelle.
Comment voyez-vous évoluer le rapport au travail et comment les entreprises peuvent-elles y répondre ?
Nos membres constatent au quotidien l’évolution des attentes et aspirations des actifs vis-à-vis des entreprises. La crise sanitaire a accéléré ce phénomène. Les actifs recherchent de plus en plus un travail et une entreprise alignés avec leurs valeurs personnelles. Nos adhérents sont au plus proche de ces attentes partout sur le territoire. Ils accompagnent les entreprises à ces changements, à adopter des stratégies plus flexibles en termes d’hybridation du travail appellant de nouvelles formes de management, de culture d’entreprise et de développement de politiques de RSE : transition verte, égalité professionnelle, emploi des seniors et enjeux intergénérationnels, etc. Nous accompagnons les entreprises à se saisir de ces évolutions, d’autant plus dans un contexte de difficultés de recrutement, car il s’agit d’enjeux d’attractivité et de fidélisation des talents.
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