Reconstruction de l’Ukraine. Entretien avec Laurent Germain, MEDEF International

Paru dans #MagCAPIDF, septembre 2023

Entretien avec Laurent Germain, Directeur général d’Egis, président du Conseil d’entreprises France-Ukraine de MEDEF International

Quels sont les principaux besoins du pays en matière de reconstruction ?

Les besoins sont immenses, la question est surtout de comprendre comment les choses seront organisées et quelles priorités il faudra envisager. Entre autres :

  • Les infrastructures essentielles. Il s’agit notamment de la réparation et de la remise en état des infrastructures de proximité (eau, électricité, déchets), du rétablissement des infrastructures de transport, des écoles, des hôpitaux et autres établissements de santé.
  • Le secteur énergétique, qui a été expressément visé par la Russie tout au long de l’hiver lors d’une longue campagne de destruction des infrastructures (réseaux et centrales de production). Il est nécessaire aussi bien de le réparer que de mettre en œuvre des dispositifs visant à le protéger d’éventuelles attaques. Les entreprises françaises ont d’ailleurs répondu présents à l’appel des autorités ukrainiennes, en fournissant du matériel pour faire face à ces destructions. Sur ce secteur, cela concerne aussi bien la production électrique, que le transfert (destructions des lignes de transmission, raccordement au réseau).
  • Le logement : une partie importante du parc immobilier ayant été affectée par la guerre, notamment dans les territoires précédemment occupés et désormais libérés. Ces rénovations sont également une occasion de reconstruire selon des standards modernes, alignés sur les pratiques européennes.
  • Le déminage, qui constitue une condition sine qua non à la mise en œuvre de projets de reconstruction.

« LA RECONSTRUCTION EST UN PROCESSUS LONG QUI S’ANTICIPE. »

Que peuvent apporter les entreprises françaises en la matière ?

Étant déjà particulièrement bien ancrées en Ukraine avant le début de la guerre, les entreprises françaises connaissent bien le marché. La France était en effet le 1e employeur étranger en Ukraine, le 4e fournisseur et investisseur européen. Elles disposent d’un savoir-faire et d’une expertise reconnus en Ukraine dans une large diversité de secteurs (ingénierie, transports, énergie, agriculture et agroalimentaire, santé, financements, etc.), et surtout travaillent en partenariat avec les entreprises locales, soucieuses d’apporter de la formation et du transfert de compétences. Enfin, elles ont maintenu un lien particulièrement fort avec leurs partenaires ukrainiens, qui ne s’est en rien distendu depuis le début de l’offensive russe, et ont, autant que faire se peut, tenté d’apporter un soutien, qu’il soit financier ou matériel.

La France était le 1er employeur étranger en Ukraine avant la guerre. Est-ce déjà le moment de se positionner pour nos entreprises alors que le conflit est toujours en cours ?

La France reste un employeur important ! Egis par exemple, employait 200 Ukrainiens avant le conflit, et continue d’employer environ 130 personnes ; nous apportons un soutien à nos salariés, l’entraide au sein du groupe a été très forte (accueil des familles par les équipes Egis de pays limitrophes, financement de logements, etc.), et les salariés maintiennent une activité professionnelle, pour l’Ukraine comme pour d’autres pays de la région. La reconstruction est un processus long qui s’anticipe. Les entreprises seront les acteurs clés de la reconstruction, elles seules ont les capacités de l’organiser et de la structurer. Si la stabilité sécuritaire est une condition nécessaire à leur intervention massive, il ne faudra pas commencer à réfléchir à cette reconstruction une fois une hypothétique paix signée : les habitants ont des besoins essentiels (se nourrir, se chauffer, se loger) qui n’attendent pas la fin de la guerre. C’est donc ce qu’elles font aujourd’hui : elles maintiennent le contact avec les partenaires et acteurs. Elles travaillent à la planification. Elles peuvent subvenir à des besoins d’urgence exprimés par les Ukrainiens. Les nombreux forums bilatéraux politico-économiques sont un cadre utile pour s’organiser. Par exemple, la Conférence sur la résilience et la reconstruction de l’Ukraine qui s’est tenue à Bercy le 13 décembre, avec des représentants de plus de 500 entreprises françaises à laquelle MEDEF International a contribué. Nous recevons également de nombreux acteurs (bailleurs bilatéraux et multilatéraux, autorités ukrainiennes etc.) afin de mieux affiner les besoins.

« LES ENTREPRISES FRANÇAISES ONT MAINTENU UN LIEN PARTICULIÈREMENT FORT AVEC LEURS PARTENAIRES UKRAINIENS, QUI NE S’EST EN RIEN DISTENDU DEPUIS LE DÉBUT DE L’OFFENSIVE RUSSE. »

Ian Goldin, professeur à l’université d’Oxford, avance un coût de reconstruction de 400 Mds €, quand d’autres parlent plutôt de 700 Mds €, des chiffres qui donnent le vertige. Comment assurer efficacement son financement ?

Les dernières estimations de la Banque mondiale, établies conjointement avec le gouvernement ukrainien et les différentes institutions, s’élèvent à 411 Mds €. Les estimations divergent, mais quel qu’en soit le montant, le secteur public ukrainien ne sera pas en mesure de financer seul ce montant. Il faudra donc une coalition rassemblant acteurs parapublics, banques de développement bilatérales et multilatérales, mais surtout impliquant dès la phase amont le secteur privé. Avec la mise en place de nouveaux outils de financement, avec des garanties et des assurances qui permettront de démultiplier les moyens nécessaires à la reconstruction de l’Ukraine. Il faudra aussi que les entreprises puissent, au-delà de ces quelques projets, bénéficier de garanties contre le risque de guerre, pour pouvoir opérer plus largement en Ukraine, comme le font déjà les Allemands. Pour l’avenir, les procédures des appels d’offres devront respecter les normes de conformité et de transparence, selon les standards internationaux. Cela constituera une condition préalable et nécessaire à tout investissement du secteur privé dans la reconstruction.

 

Paru dans #MagCAPIDF