Démasquer son imposteur
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les masques n’habillent pas seulement le visage des autres. Le miroir le rappelle, ils s’enfilent tout aussi bien seuls. Alors, comme une règle que l’on se fixe soi-même, ils donneront la couleur, ils donneront le ton, ils donneront le rôle, ils donneront le « la » : ils me donneront tout ce qui n’est pas moi. Petite, j’ai grandi avec des interdits absurdes que je m’étais fixé moi-même, pour ne pas viser trop haut. Ce masque, c’est le masque de l’imposteur. « Je ne serai pas capable », « je ne suis pas méritante », « je n’y arriverai pas », « je n’y ai pas droit » … Méticuleusement confectionnés par des règles bancales, on s’affuble des masques les plus trompeurs. J’ai vu des femmes se mettre à l’écart de leurs propres opportunités. Certes, je me suis vite convaincue que certaines portes ne s’ouvraient pas toutes seules, mais j’ai vite compris que j’en maintenais certaines closes moi-même. La censure est immonde quand on l’observe, l’autocensure invisible quand on la porte.
Dès lors, mon « non » s’est construit. Il s’est enraciné par l’expérience et il s’est élevé par des rencontres. Je refusais plus ardemment au fil des années de porter ce masque auquel je m’étais trop facilement habituée. Au début timide, presque silencieux, ce « non » que je lui adressais est devenu puissant, car il n’était plus celui du léger défi que je me donnais à moi-même, mais celui du combat. Mon imposteur persistait. Il clamait que je devais être discrète et patiente, que je devais observer et me reculer. Il m’a tonné qu’être ajustée et rangée me conduirait au plus haut. Mon masque me faisait la peau. Il m’empêchait de grandir, de me hisser, d’oser. C’en était trop. À chaque fois qu’il me bridait, je décidai de lui répondre par un cri plus fort, lancé à l’unisson par tous ceux qui me prenaient la main pour l’arracher. Chaque étape, je la devais en partie à ces mains tendues de rencontres, des hommes et des femmes, qui me déchiraient ce masque d’imposture auquel je m’étais confisquée. Par le travail, par la détermination, il s’effilochait, et je me redressais, fière de qui je devenais, pleine d’assurance envers ce qui m’attendait.
Nous sommes sûrement des dizaines à avoir eu cette réalisation. Nous ne voulons plus être bridées par notre propre imposteur. Ensemble nous devons tendre nos mains pour retirer le masque de celles qui nous entourent. Nous devons nous lancer pour oser. Oser être compétentes, oser prendre des risques !
En devenant déléguée générale de la Fédération du Commerce et de la Distribution, et après toutes les étapes qui y ont mené, je me suis engagée à rendre la confiance qu’on m’avait donnée. Avec rigueur et envie, je veux montrer qu’on peut se défaire d’un syndrome de l’imposteur que l’on a trop souvent internalisé.
Je pense en cette journée à toutes celles avec qui j’ai partagé un morceau de chemin, celles qui l’ont pavé avec moi et celles qui l’ont éclairé. Je pense aussi à toutes celles et ceux qui m’ont tendu la main, merci, sans vous, je porterai encore le masque.
Enfin je pense à toutes celles qui n’ont jamais eu de tribune, mais dont l’engagement et la force ont contribué à inspirer des dizaines d’autres femmes derrière elles. Elles m’ont aussi inspirée.
À la FCD, je suis entourée de femmes brillantes, et c’est aussi mon rôle de les pousser encore plus loin. Ici, les talents ne se cachent pas, les personnalités non plus. Où que je sois, dans ma vie privée ou publique, je me suis engagée à favoriser l’épanouissement de toutes celles qui tapies dans l’ombre n’attendent qu’une main tendue pour oser prendre la lumière et se départir de ce sentiment.
Aujourd’hui, en cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes, je regarde celles qui arrivent après nous. Je ne veux pas qu’elles aient d’abord à endosser le masque qu’elles se sont créé par peur ou par obligation. Qu’elles disent oui à qui elles sont, un oui entier. Oui à tout ce qu’elles méritent. Un oui que j’adresse à toutes celles que je rencontre, et à tous ceux qui les accompagnent. Mesdames, vous avez la scène.
Biographie :
Layla Rahhou, née le 19 mars 1987 à Paris 19e, est déléguée générale de la Fédération du Commerce et de la Distribution (FCD) depuis le 15 avril 2024. Après avoir suivi une Classe Préparatoire aux Grandes Écoles (CPGE) au Lycée Claude MONET à Paris, Layla Rahhou est diplômée de SKEMA Business School en 2012. Présidente de la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL) de 2003 à 2005, elle co-fonde en 2007 le mouvement politique Segosphere, la campagne jeune de Ségolène Royal. Layla Rahhou rejoint ensuite SOS Racisme en 2010, en tant que responsable des partenariats et du développement. Spécialisée dans les relations institutionnelles et le plaidoyer, elle devient directrice générale de l’organisation en 2011. En 2013, elle rejoint le cabinet d’affaires publiques et de communication événementielle Rivington, en tant que consultante senior, puis responsable du pôle conseil. En 2015, elle en devient directrice générale adjointe. En 2017, Layla Rahhou rejoint le Secrétariat d’État au Numérique auprès du Premier ministre où elle exerce la fonction de chef de cabinet chargée de la communication et du Parlement. De 2019 à 2020, elle retrouve le terrain d’une campagne politique en devenant la secrétaire générale de la campagne de Cédric Villani pour la mairie de Paris. Elle rejoint ensuite en 2020 la Fédération de Commerce et de la Distribution (FCD) en tant que directrice des Affaires publiques. En mars 2023, sur proposition du président de la FCD Alexandre Bompard, elle est nommée nouvelle déléguée générale de la FCD, succédant à ce poste à Jacques Creyssel.