L’intelligence artificielle affole les commentateurs, déroute les philosophes et inquiète les individus.
Remplacement par des robots, transhumanisme, vie éternelle de l’esprit après la mort, santé et capacités augmentées, partenaires sexuels parfaits, compagnons de vie infatigables et non irritables… Avec l’intelligence artificielle, les fantasmes ne sont jamais loin et l’imagination, propre (pour l’instant…) à l’être humain, est prête à s’enflammer pour imaginer des futurs incertains et inquiétants où, comme dans MATRIX, la machine prendra le contrôle. Ce qui frappe les esprits, c’est moins le caractère artificiel que la notion d’intelligence qui est ainsi questionnée. Si une intelligence peut être « manufacturée » à l’aide d’outils, d’algorithme et de silicium, alors notre intelligence humaine pourra être mise en cause et notre identité s’en trouvera fondamentalement bouleversée.
UN OUTIL D’EFFICACITÉ PROFESSIONNELLE
Et pourtant, aujourd’hui, les intelligences auxquelles nous avons affaire sont encore «faibles» selon l’analyse de Laurent Alexandre ou de Cédric Villani, les enjeux sont donc encore également faibles et c’est sans doute le bon moment pour s’adapter à ces évolutions et à l’utilisation des outils numériques.
Pour les entreprises, on parle d’ « uberisation » du travail, de disparition de métiers, mais aussi de création de milliers d’emplois nouveaux. Si elles sont prises en compte dès aujourd’hui, les évolutions stratégiques majeures et l’innovation qu’apportera l’intelligence artificielle peuvent donner aux entreprises une nouvelle dynamique et d’importants gains de productivité.
Pour les juristes, cette révolution numérique ouvre de nouveaux horizons, tant du point de vue de l’évolution du droit que dans la pratique de leur métier.
Plus que tout autre métier, la possibilité offerte par les algorithmes de trier, classer, analyser, mettre en forme ou traiter des milliers d’informations ne peut être ignorée par les professionnels du droit et de la justice. Pour eux, ces outils numériques sont déjà des enjeux de concurrence, de rationalisation des prestations, de baisse des coûts et donc d’efficacité professionnelle.
Notamment, les professions juridiques doivent compter avec les legalTech, ces entreprises, généralement des start-up, qui proposent des services juridiques en ligne, susceptibles d’offrir directement au public, pour moins cher et dans des délais plus courts, de la documentation juridique, des contrats et des modèles, la création de sociétés ou le suivi corporate.
L’intelligence artificielle est déjà présente dans le domaine du droit et va aussi permettre de gérer les contentieux et les procédures facilement industrialisables, la rédaction automatique d’un recours ou d’une assignation, la mise en place ou le suivi de class actions. Déjà sont offerts des services en ligne de résolution de litiges, d’arbitrage sur des plateformes et la fourniture de logiciels capables d’automatiser le traitement des conflits.
RESTER AU SERVICE DE L’HUMAIN
L’enjeu, pour la filière droit, est donc de profiter des opportunités qu’apporte l’intelligence artificielle par ces outils de recherche et d’analyse de décisions de justice ou de traitement des informations contenues dans les contrats.
Le deep learning, les logiciels « apprenants », les smart contracts, se présentent comme de nouvelles opportunités pour améliorer les conseils juridiques, comme l’utilisation de la Blockchain permet d’augmenter le service rendu aux clients en matière de sécurisation des actes et de la transmission de données.
Mais l’Intelligence Artificielle doit toujours rester au service de l’être humain. En droit, deux enjeux juridiques majeurs ; la personnalité juridique des machines qui pensent et la justice prédictive
Pour certains, les robots devront acquérir une personnalité juridique autonome alors que pour d’autres leur responsabilité reste subordonnée à celle de leurs propriétaires, se posera alors la question de comment gérer la responsabilité entre l’utilisateur, le créateur, le programmeur ou encore le robot lui-même …
En matière de justice, la tentation sera grande de laisser un « programme » comparer, étudier des milliers de documents, évaluer et comparer des faits identiques, une jurisprudence mise en coupe réglée pour préparer un jugement « juste » et « équitable » puisque basé sur une analyse stricte des faits de l’espèce, sans a priori ou parti pris propre à la personne humaine. Nous n’en sommes qu’au commencement et les promesses de la justice prédictive ne sont pas encore tenues, mais elle est en route.
Dans le domaine du Droit, plus que jamais, l’avocat pourra être le partenaire privilégié des entreprises s’il peut les accompagner dans la maîtrise de ces outils numériques, mieux les conseiller et les aider en prenant à sa charge et en utilisant opportunément l’intelligence artificielle appliquée aux questions juridiques ou judiciaires.
OLIVIER COUSI
AVOCAT AU BARREAU DE PARIS
PARTNER – GIDE LOYRETTE NOUEL A.A.R.P.I