Alerte sur le secteur du bâtiment. Entretien avec Philippe Servalli, FFB Grand Paris Île-de-France

Paru dans #MagCAPIDF, septembre 2023

Très impacté par les hausses des prix et des taux d’intérêt, le secteur de la construction de logements a fortement ralenti, menaçant 100 000 emplois dans le bâtiment à horizon 2025 et sur l’ensemble du territoire national. Entretien avec Philippe Servalli, président de la Fédération Française du Bâtiment (FFB) Grand Paris Île-de-France.

Quelle est la situation du secteur immobilier en Île-de-France et les conséquences sur l’activité des entreprises du bâtiment ?

La restriction actuelle des crédits met en difficulté la solvabilité des ménages désireux d’accéder à la propriété ainsi que la capacité des investisseurs à investir dans l’immobilier. Le secteur de l’immobilier en Île-de-France est en effet marqué par une crise du logement depuis plus de 10 ans. Les entreprises du bâtiment n’ont pas l’opportunité de répondre aux besoins des Franciliens.

Cette crise ne cesse de s’intensifier, ce qui entraîne une forte baisse d’activité pour nos entreprises et d’importantes conséquences sur la solidité de certaines d’entre-elles. Au premier trimestre 2023, les défaillances d’entreprises franciliennes continuent d’augmenter de + 33 % en glissement annuel sur 12 mois. Pour rappel, la loi Grand Paris a fixé comme objectif 70 000 logements construits par an, or nous sommes en moyenne entre 30 000 à 40 000 logements par an. Au premier trimestre 2023, les mises en chantier de logements dans le collectif ont diminué de -7 % en glissement annuel.

Parce que le logement répond à des besoins démographiques, socio-économiques, de mobilité et d’emploi qui concernent l’ensemble des territoires, il faut agir vite. D’autant plus que le pic de la crise n’est toujours pas atteint. Les professionnels du secteur réitèrent solennellement leur demande aux pouvoirs publics en les incitant à mesurer l’ampleur de la crise et son impact sur le pouvoir d’achat des Franciliens et plus globalement des Français.

Les chantiers liés aux Jeux olympiques, n’ont-ils pas permis un regain d’activité ?

Au total, les Jeux olympiques représentent environ 4 Mds € pour la réalisation des travaux de construction, ce qui est peu par rapport à la réalisation des travaux du Grand Paris Express par exemple. En Île-de-France, au premier trimestre 2022, plus de 672 M€ de marchés ont été attribués aux entreprises du bâtiment répartis entre 173 entreprises locales. Les chantiers liés aux Jeux olympiques ont pu booster les majors, mais pas les TPE/PME. Début 2022, seuls 14 % des marchés ont été attribués à des TPE/PME. Exclusion faite des filiales de grands groupes, ce chiffre descend à 9 %. Néanmoins, les marchés pour les travaux de second œuvre sont en cours. Cela représente de nouvelles opportunités dont nous devons nous saisir.

« NOUS SOUHAITONS ÉGALEMENT UN ABONDEMENT D’1 MD € PAR AN PENDANT 5 ANS AU BUDGET DE MAPRIMERÉNOV’ POUR REDYNAMISER LE SECTEUR DE L’ENTRETIEN RÉNOVATION. »

Quelles sont les mesures qui pourraient selon vous, améliorer rapidement la conjoncture et désamorcer la crise ?

Pour faire face à la crise du logement, la FFB Grand Paris Île-de-France souhaiterait des mesures incitatives. Par exemple, il s’agirait d’introduire un crédit d’impôt de 15 % sur les 5 premières annuités d’emprunt afin d’adoucir le surcoût RE2020* au bénéfice des acquéreurs d’un logement neuf comme résidence principale.

Nous souhaitons également un abondement d’1 Md € par an pendant 5 ans au budget de MaPrimeRénov’ afin de redynamiser le secteur de l’entretien-rénovation sur notre région, qui est moins dynamique qu’escompté. Enfin, il faut continuer de développer l’offre de logements, notamment intermédiaires, afin de respecter l’objectif de 70 000 logements construits.

Notre fédération porte également une réflexion sur le rapprochement des réglementations permettant de réduire les coûts de transformation des bureaux en logements.

Le président Macron a annoncé un grand projet de rénovation écologique des écoles. Cette annonce peut-elle constituer une bouffée d’oxygène pour le secteur ?

L’activité d’entretien-rénovation a diminué de -0,2 % dans notre région au premier trimestre 2023 (vs premier trimestre 2022). Cette branche comporte de nombreuses opportunités pour la filière, mais n’est actuellement pas à la hauteur des espérances. Nous attendons encore des annonces de soutien et une vraie politique de rénovation énergétique de la part des pouvoirs publics, notamment sur la revalorisation du budget de MaPrimeRénov’ qui semble indispensable. Les professionnels du bâtiment sont formés, qualifiés et prêts à relever le défi de la rénovation énergétique qui doit être l’une des locomotives pour la profession.

Olivier Salleron, président de la FFB, a évoqué deux ans de crise. Comment accompagner les entreprises pour passer ce cap ?

La FFB Grand Paris Île-de-France est fortement impliquée dans l’accompagnement des artisans et entrepreneurs face aux multiples crises. Notre service juridique soutient quotidiennement les professionnels et nous échangeons fréquemment avec les pouvoirs publics.

Pour accompagner les entreprises du bâtiment touchées par différentes crises, notre fédération porte plusieurs propositions :

  • indexer systématiquement les marchés, publics comme privés ;
  • faire de la théorie de l’imprévision une mesure d’ordre public pour les marchés privés ;
  • appliquer le gel des pénalités de retard et la révision des prix aux marchés privés (comme prévu dans la circulaire du 1er avril 2022 à l’égard des donneurs d’ordres publics) ;
  • étendre au bâtiment l’aide exceptionnelle accordée aux PME des travaux publics consistant en une subvention égale à 0,125 % du chiffre d’affaires réalisé en 2021.

 

Paru dans #MagCAPIDF