Pour une Ville plus bienveillante
Voilà quelques mois, j’ai été élue présidente de l’Ordre des architectes d’Île-de-France.
Je suis la seconde femme à occuper cette fonction. Loin d’être une exception, ma personne et mon parcours sont à l’image des évolutions de la profession d’architecte : féminisée, rajeunie et ouverte sur la diversité des pratiques.
Cette récente féminisation ne doit pas masquer aussi la persistance des inégalités. En dépit de la valeur et du nombre de femmes qui s’investissent dans les métiers liés à l’aménagement du territoire, sortir de l’invisibilité et faire sa place demeure un sport de combat. L’immense majorité des postes de décisions est occupée par des hommes.
Dans nombre d’espaces professionnels plutôt masculins – comme le chantier – les femmes doivent souvent faire preuve de plus d’autorité et de fermeté que leurs homologues masculins.
Et dans les débats publics, c’est également le cas : lorsque la parole est donnée à des experts, il est bien rare que la parité soit au rendez-vous.
Comme beaucoup de femmes, à travers mon métier et ma fonction, je porte certaines convictions sur notre société. Parmi elles, l’une m’anime depuis toujours : les valeurs humaines et sociales constitutives de l’architecture doivent être accessibles à tous. Je suis convaincue que notre action est destinée améliorer la vie en société par un égal accès à un habitat de qualité, aux services publics, à la culture et aux loisirs…Cela s’incarne dans des lieux qui doivent permettre à tous de tisser des liens.
Pourtant, la Ville demeure trop souvent une affaire d’hommes… pour des hommes. Comment pourrait-il en être autrement alors que le pouvoir de faire et de décider reste trop souvent un privilège masculin ?
Moins de trente des plus grandes villes du monde sont gouvernées par des femmes, seulement six femmes en France sont maires de villes de plus de 100 000 habitants !
Lorsque les villes proposent de la « démocratie participative », on sait à quel point la parole est très inégalement répartie.
Or la manière de vivre la Ville est très différente entre les hommes et les femmes. Les usages et la manière de pratiquer l’espace diffèrent. Une ville plus inclusive doit être adaptée à tous afin que les plus vulnérables y trouvent leur place : enfants, femmes, personnes en difficulté.
Espaces de rencontre et de sociabilité, relation entre les espaces de travail et les espace de vie ou de services, organisation des transports… La diversité des profils et des compétences est nécessaire pour répondre aux défis sociétaux, économiques et environnementaux. Nous, femmes, avons assurément un rôle à jouer pour que soient pris en compte toutes les sensibilités. Afin qu’émerge une société émancipatrice, plus ouverte, plus accueillante pour tous.
Politiques, citoyens, acteurs de la ville, entrepreneurs : nous devons constamment réinterroger la signification du « vivre-ensemble ». Pour cela il est nécessaire de « faire ensemble ». Voilà un objectif qui peut être collectivement partagé.
Enfin, nous savons que les femmes assurent également une grande partie de la diversité des pratiques qui sont essentielles pour l’existence d’un urbanisme et d’une architecture de qualité. Agissant bien souvent dans l’ombre, elles conseillent les maîtres d’ouvrage, sensibilisent les plus jeunes, démocratisent l’architecture et sont de véritables atouts au service de nos territoires.
Je veux donc remercier et rendre hommage à toutes celles qui s’investissent loin des lumières mais qui éclairent la décision et ouvrent le regard sur notre environnement.
Biographie :
Christine Leconte – Présidente du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Ile-de-France
Christine Leconte est architecte-urbaniste. Diplômée en 2004 de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, elle crée directement son agence au sortie des études. Ses centres d’intérêt l’amènent à travailler sur les relations entre grands territoires et ressources en eau. En parallèle de son agence, elle a exercé durant 8 années au CAUE de l’Essonne et s’attache à accompagner, informer et sensibiliser les élus pour aider au développement d’un urbanisme conscient de son environnement. Dans ces différentes missions, elle insiste sur l’analyse des sites, la place de l’homme dans le projet et sur la recherche des ressources locales permettant une approche raisonnée des projets.
Élue depuis 2013 au Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Île-de-France, elle y a exercé pendant quatre ans la fonction de Secrétaire générale du Bureau avant de devenir présidente en Octobre 2017.
Investie pour l’accompagnement et la reconnaissance de la qualité architecturale au bénéfice de tous, elle a contribué à porter la « Stratégie nationale pour l’Architecture » (2015) puis la préparation et l’examen de loi « Liberté de création, architecture et patrimoine » (2016), notamment sur les questions d’aménagement. Lauréate du Palmarès des jeunes urbanistes en 2010, elle est enseignante à l’ENSA de Versailles où elle enseigne le regard sur la ville contemporaine à travers les enjeux d’intérêt public touchant les jeunes professionnels. A 39 ans, elle est également experte auprès d’Europan France et vient d’être nommée Architecte-conseil de l’Etat auprès de la Drac Normandie.