Contrats en hausse ? Comment renégocier – par Clément Fouchard et Peter Rosher, Reed Smith

Face à l’augmentation des coûts des matières premières, de l’énergie et des transports, à laquelle s’ajoute la pénurie de certains matériaux, les entreprises doivent-elles renégocier leurs contrats et marchés et quelles sont leurs marges de manœuvre ? Rencontre avec Clément Fouchard et Peter Rosher, avocats associés énergies et ressources naturelles, du cabinet Reed Smith.

De quels leviers les entreprises disposent-elles pour renégocier un contrat tant vis-à-vis de leurs clients que de leurs prestataires et fournisseurs ?

S’agissant des contrats déjà en cours, le premier réflexe est d’examiner les termes dudit contrat afin d’évaluer les moyens disponibles. Un premier levier en cas de renchérissement des prix des matières premières est la clause d’indexation ou de révision de prix qui a pour objet de faire varier le montant d’une obligation en fonction de l’évolution d’un ou de plusieurs indices.

Un deuxième levier dont disposent les entreprises pour pouvoir renégocier leur contrat en cas d’imprévu est la clause de hardship ou de renégociation. Les conditions de sa mise en œuvre dépendront naturellement de la rédaction. Toutefois, de manière générale, son déclenchement sera conditionné à l’existence d’un changement de circonstances causé par un évènement extérieur, c’est-à-dire ne dépendant pas de la volonté des parties, qui provoque un bouleversement dans l’équilibre du contrat, rendant son exécution excessivement onéreuse (les parties peuvent prévoir des seuils de déclenchement). Par ailleurs, il faut qu’elle ait été imprévisible pour la partie subissant le bouleversement qui ne peut, par exemple, pas être antérieur à la conclusion du contrat.

Il existe depuis 2016 en droit français des contrats (de droit privé) un troisième levier, la “révision pour imprévision” consacré par l’article 1195 du code civil. Trois conditions sont nécessaires pour permettre à une partie d’agir sur le fondement de l’imprévision :

  1. la partie qui invoque l’imprévision ne doit pas avoir accepté d’en assumer le risque (on parle du caractère « supplétif » de l’imprévision) ;
  2. le changement de circonstances invoqué doit avoir été imprévisible et
  3. le changement doit produire un effet excessivement onéreux sur l’exécution du contrat, ce qui permet de distinguer l’imprévision de la force majeure.

Toutefois, la force majeure suppose que les circonstances nouvelles aient rendu impossible l’exécution du contrat, pas seulement plus difficile. En cas d’échec des renégociations amiables, il est possible de demander une révision judiciaire des termes contractuels.

Cette révision pour imprévision est également prévue dans le cadre des marchés publics en droit français en vertu de l’Article R 2194-5 du Code de la Commande Publique.

Compte-tenu du contexte international avec la guerre en Ukraine, peuvent-elles plaider un changement de circonstances imprévisible ?

Pour renégocier les termes de leur contrat, les entreprises peuvent en effet se prévaloir du contexte actuel. Il ne fait pas de doute que le déclenchement de la guerre a surpris de nombreux observateurs ce qui démontrerait le caractère imprévisible de l’évènement. Mais il pourrait être aussi soutenu qu’une entreprise signant un contrat en février 2022 avec une partie russe ou ukrainienne ne pouvait ignorer un contexte géopolitique explosif depuis plusieurs mois. L’efficacité de l’argument dépendra également de la démonstration du lien de causalité entre la guerre et l’exécution contractuelle.

Une autre piste est celle de la force majeure. Toutefois dans ce cas, le but n’est pas de tenter de renégocier le contrat mais d’excuser une des parties pour sa défaillance temporaire. De même, il conviendra de démontrer le lien de causalité entre d’une part l’évènement de force majeure (la guerre en Ukraine ou encore les sanctions prises par l’Union européenne ou les États-Unis) et l’obligation contractuelle dont l’exécution est devenue impossible.

Faut-il inclure systématiquement une clause de « force majeure » dans les contrats ?

Même avant la période troublée que nous traversons (pandémie, guerre) l’insertion d’une clause de force majeure apparaissait comme une bonne pratique (d’ailleurs assez usuelle) a fortiori lorsque la durée du contrat était importante. Aujourd’hui, elle apparaît indispensable et est âprement négociée. L’intérêt supplémentaire pour l’insertion d’une telle clause est que les entreprises peuvent alors aménager contractuellement sa définition en énumérant les cas précis qui leur permettront d’être exonérés. Par exemple, les parties pourraient souhaiter lister au titre de force majeure la hausse du prix ou la pénurie de matières premières clés pour l’exécution du contrat.

« L’insertion d’une clause de force majeure apparait désormais indispensable lorsque la durée du contrat est importante »

Les entreprises ont-elles toujours intérêt à renégocier leurs contrats, par exemple en matière énergétique, ou est-il préférable de laisser agir le marché ?

Naturellement, la réponse à la question va dépendre de la position de chaque partie dans le contrat : en période haussière, le fournisseur d’énergie aura tendance à attendre et voir alors que l’acheteur sera tenté de renégocier. Autre critère à prendre en compte, le contenu du contrat qui ouvrira plus ou moins grande la porte des discussions et de la renégociation. Enfin, l’approche à tenir sera également commandée par les rapports de forces entre les parties : le co-contractant qui bénéficie du contexte haussier encourt-il un risque à refuser toute renégociation ? En droit français par exemple, le régime de la révision pour imprévision prévoit, en cas d’impasse entre les parties, la possibilité d’intervention du juge judiciaire dans le contrat pour le modifier ou même le résilier, des éventualités qui ne sont évidemment pas sans risque pour les parties.

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