« Nous voulons une Europe beaucoup plus réaliste et combative »
C’est en ces termes que Patrick Martin, président du MEDEF, a engagé l’organisation dans une vaste réflexion sur l’Europe et les solutions que les entreprises peuvent avancer en matière de compétitivité, de réindustrialisation, de sécurité ou de souveraineté économique, dans la perspective des élections européennes du 9 juin.
Alors que la compétition mondiale s’intensifie, que les zones de conflits se multiplient à nos portes et que les transitions environnementales, technologiques et démographiques s’accélèrent, cette élection s’annonce comme un rendez-vous majeur pour l’Union européenne. Le Mouvement des Entreprises de France (MEDEF) a toute sa place dans ce grand débat d’idées, pour remettre en perspective les choix politiques et économiques de l’Union et défendre l’intérêt des entreprises françaises.
L’Europe décroche
« L’Europe a été un peu naïve sur un certain nombre de dispositions qui nous disqualifient progressivement par rapport aux Américains, par rapport aux Chinois, par rapport à d’autres », insiste Patrick Martin, président du MEDEF. Le décrochage est massif vis-à-vis des États-Unis, en termes d’activité, d’investissements ou de flux de capitaux. Les fonds de pension et les grandes banques américaines attirent l’épargne européenne grâce à un marché américain qui n’a pas d’équivalent en matière de retour sur investissement, notamment en raison de l’Inflation Reduction Act (IRA) et son énergie bon marché. De son côté, la Chine, malgré un ralentissement de l’activité, demeure très agressive sur le plan commercial. Son excédent commercial en produits manufacturés représente 2 900 Mds $ en 2023, un niveau supérieur de 80 % à celui de 2019. « Il y a un risque majeur que l’Europe soit sortie du jeu », constate Patrick Martin.
Le poids des normes
Elles pèsent particulièrement sur notre économie, qui dépend à 60 % du marché intérieur. Alors que nous aurions besoin de rapidité et de fluidité, 320 000 normes s’appliquent aux Français, aussi bien aux ménages qu’aux entreprises. Selon l’OCDE, cette frénésie réglementaire représente 3,4 % du PIB français, soit 80 Mds € de surcoût. « Évidemment, nous avons besoin de réglementations, mais pas qu’elles soient tatillonnes ! Entre 2017 et 2022, il y a eu 5 000 pages de textes dont 850 obligations nouvelles pour les entreprises », constate amèrement Fabrice Le Saché, vice-président du MEDEF en charge de l’Europe. Une cascade de réglementations pour les PME sur la comptabilité carbone, les plans climats, les trajectoires RSE, etc. Pour autant, le MEDEF reste très pro-européen, convaincu que la France et ses entreprises n’ont pas d’avenir en dehors de l’Union européenne. Mais il faut une Europe plus consciente des problèmes de compétitivité, plus pragmatique et beaucoup plus rapide et efficace dans son processus de décision.
Une consultation et une tournée
Face à cette situation, le MEDEF a entrepris un travail de recensement et de réflexion pour apporter des idées nouvelles, qui feront avancer l’Europe, nos entreprises et notre pays. Une plateforme de consultation des adhérents, lancée le 18 décembre dernier, ainsi qu’un « Grand Tour de France » des MEDEF régionaux et territoriaux, ont permis de renforcer sa position collective avec la constitution d’un manifeste européen des entreprises de France, structuré autour de trois axes :
• une nouvelle gouvernance pour une « Europe puissance » ;
• un leadership vert et digital pour une croissance responsable ;
• une puissance industrielle pour renforcer notre autonomie stratégique.
À la faveur d’une tournée de 13 étapes, entamée le 25 janvier au Parlement européen à Strasbourg, Fabrice Le Saché a débattu avec des centaines d’adhérents, pour enrichir ces propositions. Des rencontres qui ont été l’occasion de mettre en avant les enjeux économiques régionaux, de recueillir les priorités des entrepreneurs et des branches adhérentes. Au terme de ce Grand Tour, une nouvelle REF Thema a permis d’échanger avec un grand nombre de parties prenantes, politiques européens, think tanks, chefs d’entreprise, sur le rôle de l’Europe que le MEDEF appelle de ses vœux pour la prochaine mandature.
9 enjeux identifiés par la consultation :
→ une gouvernance européenne efficace permettant d’agir rapidement et avec pragmatisme,
→ un marché intérieur qui joue pleinement son rôle de levier économique,
→ une souveraineté qui se construit au quotidien avec les acteurs économiques,
→ un passage à l’échelle mondiale en matière numérique,
→ une stratégie de décarbonation qui avance résolument, sans rompre les équilibres concurrentiels et qui garantisse la compétitivité,
→ un modèle social qui s’adapte aux enjeux démographiques, sociétaux et technologiques,
→ une ouverture renforcée au commerce international qui se départit de toute naïveté,
→ une fiscalité européenne qui s’inscrit dans un agenda de croissance et de compétitivité,
→ une politique industrielle qui intègre toutes les composantes favorisant l’implantation des activités productives sur le sol européen.
De nombreux sujets sur la table
Des rencontres qui ont permis d’identifier d’autres sujets de préoccupations, à commencer par l’accès à une énergie abordable, décarbonée et compétitive. Il y a aussi le sujet des accords commerciaux et une problématique de désindustrialisation française. Le MEDEF est partisan d’une Europe ouverte, ce qui n’est pas neutre en matière de libre-échange. Patrick Martin s’est dit favorable à l’accord UE-Mercosur, 20 % des emplois français étant directement ou indirectement liés à l’exportation. Mais en veillant à ce qu’on appelle les « clauses miroirs ». « Il faut vérifier que les quatre pays sud-américains impliqués respectent le minimum sur le plan environnemental et social », rappelle-t-il. « Nous sommes pour une ouverture non-naïve et nous soutenons tous les instruments anti-subvention, anti-coercition, ainsi que le filtrage des investissements mis en place par la Commission européenne parce qu’il faut se protéger des comportements prédateurs ou qui ne jouent pas les règles du jeu mondial », insiste de son côté Fabrice Le Saché.
Autre axe de réflexion, le manque d’entreprises françaises hautement technologiques. « Il n’y a pas une entreprise européenne dans le top Tech 50 mondial, nous n’avons pas réussi à faire émerger des leaders mondiaux en Europe, mais il ne faut pas rater le virage de l’intelligence artificielle », souligne le vice-président du MEDEF. L’organisation patronale prône un vrai marché européen des capitaux, qui rende les capacités de levées de fonds au-delà des tickets de 50 M€, davantage réalisables en Europe. Le MEDEF se bat pour assouplir les règles, sans mettre en risque la stabilité du système financier, et souhaite l’émergence de sociétés de gestion capables de distribuer des capitaux dans des entreprises en création ou en développement. Ce qu’abonde Jean-Laurent Bonnafé, directeur général de BNP Paribas. « En Europe, l’économie est financée de l’ordre de 80 % par les bilans bancaires ; le solde de 20 % est financé sur les marchés financiers. Aux États-Unis, c’est l’inverse. Face aux immenses besoins de financement de la transition qui se présente, la seule réponse possible est d’augmenter significativement la part des financements par les marchés financiers ».
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