Dans ce débat européen, les témoignages de trois grandes fédérations professionnelles françaises nous éclairent sur les enjeux de cette élection. Nous avons rencontré leurs dirigeants.
Olivier Salleron, président de la Fédération Française du Bâtiment (FFB)
Les règles du jeu du marché européen de la construction, vous semblent-elles équitables ?
La construction s’avère une activité – la réalisation de travaux – exercée localement et, en général, par des entreprises locales. À ce titre, notre priorité porte sur des règles du jeu équitables au lieu d’intervention de l’entreprise, quelle que soit son origine. Pour la FFB, le rôle de l’UE consiste donc à mettre en place un cadre cohérent, qui offre aux entreprises un environnement compétitif, ainsi qu’une concurrence saine et loyale. Cela passe, par exemple, par la lutte contre la fraude au détachement pour laquelle il faut rester mobilisé.
Y a-t-il trop de normes et quelles sont les conséquences sur votre activité ?
Les entreprises de bâtiment sont soumises à de nombreuses normes. Au stock préexistant, se sont ajoutées les nombreuses mesures liées du Pacte Vert européen. La démarche est légitime et nos entreprises se mobilisent pour réduire les émissions carbone dans le secteur. Elle débouche toutefois sur une charge administrative excessive, ainsi qu’une forte hausse des coûts de construction, tous deux contre-productifs. Or, les besoins en logement et en rénovation énergétique restent prégnants dans la plupart des pays européens.
« Il faut stopper l’inflation normative qui pèse sur les entreprises, l’économie et les citoyens. »
Quel message souhaiteriez-vous adresser aux futurs élus européens ?
J’en ai plusieurs. D’abord, il faut stopper l’inflation normative qui pèse sur les entreprises, l’économie et les citoyens. Cela devient un sujet préoccupant de désamour envers le projet européen. Ensuite, il faut accompagner les acteurs économiques et mettre à disposition des moyens nécessaires (outils, financements, etc.) pour atteindre les objectifs de transition écologique qui sont imposés. Enfin, il convient de laisser des marges de manœuvre, de la subsidiarité, pour permettre la prise en compte de la diversité et de la spécificité des territoires, urbains, ruraux, métropolitains ou ultramarins.
Hubert Mongon, délégué général de l’Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie (UIMM)
Vous êtes indispensable à la production des métaux nécessaires à la transition énergétique sur le continent. Comment l’Europe accompagne-t-elle votre secteur sur ce chemin ?
Les besoins de certains matériaux vont être multipliés par 5 à 8 d’ici 2030, le raffinage en est concentré en Chine, par exemple à 87 % pour les terres rares. Consciente du sujet, la France constitue un fonds géré par Infravia. Il vise 2 Mds € pour participer à plus de 10 Mds € de projets, de l’extraction au recyclage. L’Europe a adopté le « Critical Raw Materials Act » fixant des ambitions de souveraineté, notamment sous l’angle du recyclage. Cela stimule toute l’industrie des batteries en Europe.
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) qui doit protéger l’industrie européenne vis-à-vis des producteurs extérieurs, vous donne-t-il satisfaction ?
Non. À ce stade, le choc de coûts représenté par la mise en œuvre du MACF et la suppression de quotas ETS (Emissions Trading System) est estimé entre 2 et 3 Mds € par an. Il est important que la phase transitoire s’achevant fin 2025, permette de trouver des améliorations afin que le mécanisme remplisse ses objectifs de lutte contre les « fuites de carbone » (délocalisations). Appliquer le projet actuel ferait donc peser un très grand risque sur l’industrie européenne, sans améliorer l’empreinte carbone de l’Europe. Le calendrier d’extinction des quotas gratuits n’est pas tenable.
« La réglementation ne doit plus être l’instrument quasi exclusif des politiques européennes. »
Quel message souhaiteriez-vous adresser aux futurs élus européens ?
L’Europe doit être aux côtés des entreprises par des actions pratiques et pragmatiques plutôt que législatives. La réglementation ne doit plus être l’instrument quasi exclusif des politiques européennes. Le progrès économique et social ne se construit que sur la croissance. Or, une réglementation ne peut pas la créer. En revanche, elle peut la freiner, voire la détruire. L’Union européenne a apporté une grande valeur ajoutée à nos entreprises. Elle doit retrouver cette voie. Nous avons besoin d’un marché unique qui soit un cadre propice pour innover, prospérer et permettant une mobilité fluide de la main d’œuvre.
Laurent Giovachini, président de la Fédération Syntec
En 2000, les États membres de l’UE s’étaient entendus sur un objectif ambitieux : faire de l’Union « l’économie de la connaissance la plus compétitive et dynamique du monde ». L’objectif a-t-il été atteint ?
La stratégie de Lisbonne a échoué, avec seulement 1,9 % du PIB de l’UE alloué à la recherche, en deçà de l’objectif de 3 %, et des disparités entre les pays. Le projet « Europe 2020 » adopté en 2010 n’a pas atteint ses objectifs en matière de chômage, de pauvreté et de R&D. Malgré sa contribution significative à l’innovation et à l’emploi, le secteur des services à forte valeur ajoutée est sous-estimé. Accorder plus d’attention à ces secteurs dynamiques pourrait stimuler la croissance. Les métiers de la Fédération Syntec (numérique, ingénierie, conseil, événementiel, formation) ont été cruciaux pour la relance post-crise sanitaire et sont aujourd’hui essentiels à la réindustrialisation verte et compétitive du pays.
IA et Quantique, quel est la place de l’Europe aujourd’hui ?
Si l’UE a perdu des batailles face aux GAFAM et BATX, elle peut jouer un rôle clé en Intelligence Artificielle. La France a des acteurs prometteurs en IA générative. Veiller à ce que les régulations de l’UE, comme l’AI Act, n’entravent pas leur développement est essentiel. Le Quantique est un autre domaine où l’Europe et la France peuvent avoir des champions mondiaux.
« L’Europe surrégule et sous-investit, nuisant à notre innovation et à notre compétitivité. »
Quel message souhaiteriez-vous adresser aux futurs élus européens ?
Auprès des futurs élus européens, je souhaite souligner l’importance de l’appropriation du numérique et des disciplines scientifiques par nos concitoyens. Cela nécessite un effort majeur de formation initiale et continue. Il est essentiel de renforcer l’attractivité pour les jeunes diplômés et talents étrangers. Il faut aussi rééquilibrer l’action de l’Union européenne, car l’Europe surrégule et sous-investit, nuisant à notre innovation et à notre compétitivité. Ce rééquilibrage est nécessaire pour éviter le décrochage vis-à-vis des États-Unis en termes de richesse par habitant.
À LIRE ➡️ DOSSIER | Élections européennes : « Nous voulons une Europe beaucoup plus réaliste et combative »
Paru dans #MagCAPIDF