À quoi rêvent les dirigeants d’entreprise en 2022 ? Certainement pas à des solutions miracles ou à des recettes éculées, mais à des propositions concrètes pouvant être rapidement mises en œuvre pour créer les conditions d’un environnement favorable à leur développement que ce soit en matière fiscale ou réglementaire, à une vision claire de la stratégie à suivre pour relever les grands défis de la transition énergétique, à des dispositifs de formation plus en adéquation avec leurs besoins pour réduire les tensions en termes de recrutement et assurer la montée en compétences de leurs équipes, à une France réindustrialisée pour retrouver notre souveraineté dans des domaines stratégiques, à un modèle social rééquilibré. Ils veulent pouvoir réussir leur virage numérique et continuer à être créateurs de richesses. En interrogeant le terrain pendant des mois, le MEDEF a fait remonter les tendances fortes qui articulent les attentes du monde de l’entreprise. Compétences, emploi, transition, croissance responsable, modèle social, fiscalité, souveraineté, produire en France, ces mots se sont imposés au fil des débats.
Compétences et emploi
« Aujourd’hui, on est en train de réindustrialiser le marché français, ce qui est plutôt intéressant. Néanmoins pour cela, il y a un besoin de matériels industriels et de technicités métiers que l’on est en train de perdre. On forme beaucoup plus d’ingénieurs qu’on ne forme de productifs purs et durs. Comment parvenir à rééquilibrer et simplifier ce schéma-là ? », s’inquiète Guillaume Trias, PDG de Nuances Impression, une petite PME de Seine-Saint-Denis. Il est rejoint sur ce terrain par Maxime Matthey, Directeur général d’Outillage Magafor, entreprise métallurgique du Val-de-Marne. « C’est difficile de trouver des postes sur la partie production : opérateur, régleur… parce qu’il y a de moins en moins de personnes qualifiées et formées en France pour des métiers mécaniques ». Dominique Carlac’h, Vice-présidente du MEDEF leur emboîte le pas : « Il faut un gros effort de formation professionnelle sur la mutation des métiers ». C’est pourquoi le MEDEF propose notamment d’instaurer une co-décision entreprise/salarié sur le CPF, pour l’orienter vers les compétences attendues sur le marché du travail et de réformer le dispositif des transitions professionnelles afin de le simplifier et de le rendre plus accessible en clarifiant le rôle des uns et des autres.
Produire en France
« On a perdu des savoir-faire, des métiers, et il faut qu’on se les réapproprie pour retrouver notre souveraineté et notre indépendance », souligne avec force Jeanne Lemoine, Directrice générale du Groupe Lemoine. Mais pour cela il faut un État stratège et visionnaire, insiste Frédéric Grehal, PDG de Circor Industria, une PME du Val-de-Marne spécialisée dans la fabrication d’équipements hydrauliques et pneumatiques. « Il y a une vraie volonté de réindustrialiser et de relocaliser. J’espère que ça va se poursuivre, que ça va être encouragé au travers des différents plans, comme le plan de relance, le plan France 2030. Tout ce qui contribue à permettre aux entreprises de faire de la R&D sur des marchés prometteurs tels que l’hydrogène, est la bonne façon de procéder ». La réindustrialisation s’impose dans le débat. L’industrie constitue le premier déterminant de la croissance économique car ses gains de productivité sont 3 fois supérieurs à ceux des autres activités. C’est la productivité qui conditionne la croissance. Le seul différentiel du poids de l’industrie avec l’Allemagne (22,8 % du PIB en Allemagne, 10 % en France) nous prive structurellement de 0,35 point de croissance chaque année par rapport à l’Allemagne, selon la Fondation Concorde, think tank indépendant. Selon elle, relancer véritablement la production en France coûterait 23 Mds €, soit exactement le coût de la suppression de la taxe d’habitation. « Nous consommons davantage que ce que nous produisons, en témoigne le déficit de notre commerce extérieur. Les politiques publiques devraient viser en priorité le développement de l’investissement productif. C’est un levier efficace pour créer de l’emploi », indique Olivier Szyika-Gravier, associé KPMG. Ramener les impôts de production à leur moyenne européenne (-35 Mds € en 5 ans), comme le demande le MEDEF depuis plusieurs années, serait très incitatif en la matière.
Fiscalité et réglementation
Ce sont deux des préoccupations récurrentes des entreprises. « Moi je suis dans l’événementiel, nous sommes taxés à hauteur de 60 % alors que d’autres secteurs le sont à hauteur de 30 à 40 %. Pourquoi ce différentiel ? », s’étonne Thierry Bourgeois, PDG de LMA Développement, qui réclame une baisse des charges. « Les charges sont trop importantes à la fois pour les salariés et pour les entreprises. Quand vous donnez 100 euros à un salarié, il touche à peine 40 euros net par mois. Donc j’ai presque envie de dire qu’il y a 80 % de charges entre la part patronale et la part salariale. Donc ça ne peut pas marcher ». En plein débat sur le pouvoir d’achat, certaines réalités doivent être rappellées. « Si nous étions moins taxées, on ferait du résultat que l’on pourrait réinvestir dans l’entreprise. On n’aurait pas forcément besoin de faire appel à des crédits qui sont difficiles à obtenir », renchérit-il. « Qu’on nous laisse travailler et produire et que l’on ne cède plus aux faux remèdes qui visent à donner du pouvoir d’achat et à créer des emplois sans produire davantage. Il faut supprimer la C3S qui taxe les productions françaises. C’est l’impôt le plus nocif car il taxe en cascade le chiffre d’affaires à tous les stades de fabrication », rappelle Michel Liardet, Président de l’Européenne de condiments. Autre spécialité française : une réglementation pléthorique. Il existe à ce jour plus de 71 codes, environ 4 000 régimes différents d’autorisation, pas moins de 400 000 normes, selon la Fondation Concorde. « C’est devenu impossible de se tenir au courant de toutes ces normes. Dans le bâtiment les petites entreprises et les artisans doivent constamment se remettre à jour et les coûts des chantiers ne cesse d’augmenter. Construire des logements devient de plus en plus cher, sans parler du prix du foncier », constate Pablo Ortega Directeur général de la MAP, grossiste en matériaux de construction, installé en Seine-et-Marne. La baisse des impôts de production proposée par le MEDEF génèrera de la croissance insiste, Patrick Martin, Vice-président du MEDEF.
« En France, la dépense publique s’élève à 56,5 % du PIB et nous avons le niveau de taxation le plus élevé de l’OCDE »
Transition écologique et numérique
« Plus personne ne conteste qu’il y a un changement climatique, plus personne ne conteste, en tout cas chez les entrepreneurs, qu’il faut changer notre modèle productif », se félicite Geoffroy Roux de Bézieux, Président du MEDEF. Mais il faut une approche plus rationnelle des politiques écologiques et une planification de long terme. Pour certains secteurs cette transition est clairement une belle opportunité. « La rénovation énergétique va porter le secteur du Bâtiment avec déjà 150 000 nouveaux salariés d’ici à 2023 et l’émergence de nouveaux métiers attractifs », indique Olivier Salleron, Président de la Fédération Française du Bâtiment (FFB). Pour d’autres en revanche, cette transition s’accompagne de certaines craintes. « On nous dit qu’il faut commencer à préparer 2024, parce que les véhicules hybrides vont enfin arriver et que les véhicules diesel vont être interdits, mais il n’y a pas de solution pour les entreprises sur le marché. En attendant, mes 15 véhicules roulent au diesel, et avec l’augmentation des carburants il va falloir que j’augmente mes tarifs, ce qui risque de déstabiliser mes clients », indique Thierry Bourgeois de LMA Développement. « L’interdiction des véhicules thermiques d’ici 2035, n’est pas la stratégie la plus efficace d’un point de vue écologique et elle présente un risque social qu’a souligné Carlos Tavares, le patron de Stellantis, en raison de la mise en danger des sous-traitants et de l’inégalité d’accès aux véhicules propres », rappelle Geoffroy Roux de Bézieux. Le renchérissement des coûts de l’énergie qui devrait se poursuivre, inquiète les industries grosse consommatrices. Pour le MEDEF, il faut décarboner le mix énergétique en relançant la production d’électricité nucléaire et refonder le marché européen de l’électricité pour maîtriser les coûts. Selon Michel Rousseau, Président de la Fondation Concorde « On ne connait aucun exemple de la faisabilité d’une utilisation très importante d’ENR variables comme l’éolien et le photovoltaïque pour approvisionner un pays en électricité. Décarboner notre économie revient donc à l’électrifier en augmentant fortement notre production d’électricité : + 75 % d’ici 2050 pour atteindre 900 TWh alors que la stratégie nationale bas carbone pilotée par l’ADEME ne prévoit que 600 TWh ».
Modèle social
Pour préserver notre modèle social, les réformes structurelles indispensables doivent enfin être menées à leur terme, estiment bon nombre de dirigeants d’entreprise à l’image de Guillaume Trias, PDG de Nuances Impression. « La réforme du Code du travail est vraiment quelque chose qu’il faut continuer. Celle du régime des caisses de retraites doit permettre d’aboutir à un régime plus équitable », espère-t-il. « En 1945, quand on a créé le système de retraites on avait quatre actifs pour un retraité. Aujourd’hui, on va doucement vers 1,6 ou 1,7 actifs. Donc il faut reculer l’âge de la retraite en le faisant avec intelligence, c’est-à-dire en prenant en compte la pénibilité de certains métiers, qui doit permettre aux salariés les occupant de partir plus tôt », indique Geoffroy Roux de Bezieux. Le recul de l’âge de la retraite d’un trimestre par an, représente une économie directe de 2 Mds € pour les salariés du secteur privé et améliore fortement le taux d’emploi qui en France est inférieur de près de 10 points à celui d’autres pays. Cette augmentation du taux d’emploi procurera par ailleurs d’importantes recettes fiscales et sociales au moins 2 fois supérieures à l’économie réalisée, selon les économistes de la Fondation Concorde. Le MEDEF propose de relever l’âge de départ en retraite à 65 ans (à raison de 3 mois par an) et de supprimer les régimes spéciaux en créant trois grands régimes : salariés, fonctionnaires, indépendants.
Accompagnement et financement des créateurs
Quand il a souhaité se lancer dans l’activité de brasseur, Fabien Nahum, dirigeant d’Hespebay (Val-d’Oise), alors avocat d’affaires et connaissant donc parfaitement les rouages, a pourtant rencontré beaucoup de difficultés pour financer son projet relevant de l’économie du tangible. « Cela pose la question de savoir comment une entreprise artisanale peut aujourd’hui trouver des financements. Je ne m’attendais pas à autant d’obstacles », constate-t-il. Un sentiment que partage Thierry Bourgeois de LMA Développement. « Au prétexte qu’ils ont aidé les entreprises avec des PGE, les partenaires bancaires bloquent tous les autres investissements, comme les financements pour de l’achat de matériels. Alors que si je n’achète pas de matériels, je ne pourrai jamais rembourser le PGE ! » Excédé par cette attitude il s’est tourné vers trois partenaires de leasing qui, en le redirigeant vers les fonds européens d’aide aux entreprises, lui permettent de financer ses investissements. « Les banques ne m’en ont jamais parlé ». Pour Fabien Nahum, Il faudrait également mettre sur pied un accompagnement plus efficace des créateurs d’entreprise. « Quand on se lance, c’est un vrai parcours du combattant. Il n’est pas toujours aisé de s’y retrouver dans les multiples dispositifs de financement et d’accompagnement. Il faut aussi pouvoir, les premiers temps, employer une ou deux personnes avec un niveau de charges compatibles avec les recettes de l’entreprise. Si beaucoup d’efforts ont été faits pour l’entreprise individuelle, en revanche il y a un vrai travail à mener sur l’amorçage de l’entreprise employant des salariés », insiste-t-il.
La préoccupation du moment : la hausse des prix de l’énergie et des matières premières
« Si les prix de l’acier augmentent, c’est aussi principalement à cause de la hausse du prix de l’électricité pour la fabrication, mais aussi du gaz pour certaines applications de production », nous précise Maxime Matthey, Directeur général d’Outillage Magafor (Val-de-Marne). « Au niveau des matières premières on a des hausses autour de 15 % avec une spécificité pour l’acier qui est la « variation extra alliage » (VEA), une taxe s’ajoutant au prix de l’acier. Donc au global on est sur du 35 % à 40 % de hausse ». Particularité de cette crise, c’est que rien ne garantit que cela s’arrête au bout de six mois. « Il y a beaucoup plus de mise en stock qu’auparavant : dans un contexte de rupture d’approvisionnement et d’incertitudes, les professionnels préfèrent constituer des stocks, ce qui participe à la hausse », ajoute Maxime Matthey. Si des aides financières à court terme pourraient aider les entreprises, il faudrait bien les rembourser. « Donc au final la perte de marge sera la même ». Une des solutions qu’il envisage est de produire davantage d’acier et de carbure sur notre sol, pour être moins dépendant des fournisseurs étrangers. De son côté, Guillaume Trias, PDG de Nuances Impression (Seine-Saint-Denis), a observé une hausse de 11 % dans son secteur, à la fois lié à la hausse des matières premières, de l’électricité et des coûts de transport. « Les gros acteurs sur le marché ont pu stocker et avoir du papier en stockage pour essayer de maintenir leurs tarifs sur une durée plus longue ». « La hausse du prix des carburants a un impact fort sur notre activité. Les livraisons de matériels me coûtent de plus en plus cher sans que je puisse les répercuter totalement sur la clientèle, qui doit déjà faire face à la hausse des prix des matériaux, au risque de la voir partir vers la concurrence. » ajoute Pablo Ortega, dirigeant de la MAP (Seine-et-Marne).
Les attentes des Français
Selon Jean-Daniel Lévy, directeur délégué de l’institut de sondage Harris Interactive, ces attentes n’ont en réalité guère changé par rapport à 2017. « Immigration, emploi, inégalités sociales, écologie et environnement, auquel se sont ajoutés les préoccupations liées au pouvoir d’achat ». Cependant trois sujets sont particulièrement marqués pour penser l’avenir : « L’angoisse climatique, qui traverse toutes les couches sociales. La politique de recherche et d’innovation dont personne ne parle mais qui a marqué un profond déclassement pour les Français. Et le système éducatif qui n’est plus à la hauteur des espérances ». Avec une forte demande dans l’opinion publique d’une vision de moyen et long terme pour le pays.
Les inquiétudes des économistes
Ce qui inquiète les économistes c’est que la situation financière de la France est catastrophique comme l’a récemment souligné la Cour des Comptes, et que nous ne disposons d’aucune marge de manœuvre. Ce qui pose la question de la baisse des dépenses publiques. « Nous n’avons pas le choix, il va falloir reprendre la trajectoire de baisse interrompue par la crise. Avec le double défi qu’on ne pourra pas compter uniquement sur la croissance des recettes fiscales pour rétablir les comptes et qu’il va falloir engager des dépenses par centaines de milliards pour la transition écologique. » insiste Geoffroy Roux de Bézieux dans un entretien accordé à L’Opinion.
À LIRE :
➡️ Les priorités de l’organisation patronale. Entretien avec Dominique Carlac’h, Vice-présidente du MEDEF
Paru dans #Mag CAPIDF