Quelle entreprise n’a pas eu à se pencher sur le cas d’un salarié se plaignant de harcèlement moral en illustrant ses propos, par exemple, par une perte de responsabilités, une mise à l’écart, une communication violente, ou du dénigrement de la part de collègues … ?
Ce type de récrimination était évidemment à prendre au sérieux car, si de tels éléments étaient avérés, le manquement de l’employeur à son obligation de prévention et de sécurité, était déjà de nature à ouvrir droit à des dommages et intérêts particulièrement élevés.
Cela est encore plus vrai depuis l’ordonnance n° 2017-1282 du 22 septembre 2017 qui fixe un seuil et un plancher à l’indemnité que le Juge peut accorder au salarié dont le licenciement serait jugé sans cause réelle et sérieuse.
Ce barème évolue à la hausse selon l’ancienneté du salarié et, dans une moindre mesure, selon la taille de l’entreprise.
Cette modification de l’article L. 1235-1 du Code du travail vise ainsi clairement à limiter la marge d’appréciation jusqu’alors laissée aux magistrats pour dédommager les salariés victimes d’une décision de licenciement injustifiée.
La mise en place d’un tel plafond, qui permettrait donc de mesurer financièrement les incidences de certaines mesures de management, pourrait rassurer les entrepreneurs et serait de nature à entraîner une baisse du montant des condamnations, en particulier pour les salariés qui disposeraient d’une faible ancienneté.
DES VOIES DE CONTOURNEMENT
Toutefois, nombre de praticiens soucieux de préserver les intérêts des collaborateurs, s’intéressent d’ores et déjà aux voies de contournement de ce plafond.
Or, l’application de ce barème est exclue par les textes dès lors que le licenciement est déclaré nul.
La nullité d’un licenciement, qui va donc plus loin que la seule reconnaissance de l’absence de cause réelle et sérieuse, peut ainsi conduire à une condamnation qui n’est pas, pour sa part, plafonnée.
Pour tenter tout de même de préciser cette exception, le législateur a listé les sources de nullité à l’article L. 1235-3-1 alinéa 2 en indiquant notamment qu’il s’agit des cas de violation d’une liberté fondamentale, des faits de harcèlement moral ou sexuel, ou liés à une discrimination ou à une dé- nonciation de crimes et délits…
Au sein de cette liste, se trouvent donc des mots ou des maux auxquels les employeurs sont régulièrement confrontés et qu’ils doivent traiter avec précaution, dont en premier lieu le harcèlement moral.
L’introduction de la notion de harcèlement moral dans le Code du travail en 2002 a en effet conduit davantage de collaborateurs à dénoncer les agissements de harcèlement moral qu’ils estiment subir.
La dégradation des conditions de travail ou l’atteinte à la santé, directement visées par l’article 1152-1 du Code du travail qui dé- finit le harcèlement moral, sont donc évoquées dans un grand nombre de dossiers.
SE MÉFIER DES RÉACTIONS PRÉCIPITÉES
Dans de tels cas, surtout lorsque l’employeur a le sentiment que quelques salariés instrumentalisent la notion de harcèlement moral pour tenter d’intimider la Direction et négocier un départ, la tentation est parfois grande d’écarter le collaborateur au plus vite au moyen d’un licenciement. Pourtant, il faut se garder de toute réaction précipitée, motivée par une forme d’agacement.
En effet, désormais, si le juge estime que la mesure de licenciement peut avoir un quelconque lien avec une plainte pour harcèlement moral, il pourra s’affranchir du barème et retrouver sa liberté de fixer une indemnité supérieure à celle prévue par le législateur.
Or, la Cour de cassation estime que l’employeur ne peut invoquer dans une lettre de licenciement la dénonciation de faits de harcèlement dès lors que la mauvaise foi n’est pas démontrée (Cass. Soc. 10 juin 2015. n°13-25.554). Les Juges ont pris le soin d’indiquer que la mauvaise foi ne peut résulter du seul fait que les faits dénoncés ne sont pas établis (Cass. Soc. 27 octobre 2010 n° 08-44.446). La démonstration d’une telle mauvaise foi est donc pour le moins malaisée.
Tout licenciement d’un dénonciateur de harcèlement moral, sauf abus, encourt donc la nullité et, par voie de conséquence, n’est pas soumis au nouveau plafond des dommages et intérêts … Le bénéfice de cette protection, et donc de cette nullité, n’est toutefois pas sans condition.
La Cour de cassation vient en effet récemment de refuser la nullité du licenciement intervenu alors qu’un salarié venait de se plaindre par email d’un traitement abject, déstabilisant et profondément injuste qu’il estimait subir (Cass. Soc. 13 septembre 2017 n°15-23.045).
Faute en l’espèce pour le salarié d’avoir expressément mentionné l’existence d’un harcèlement moral dans le courriel, les Juges n’ont pas mis en œuvre la protection. Il faut donc en conclure que, pour bénéficier de la protection, le salarié doit avoir expressément utilisé la notion de « harcèlement moral ».
Les prochains mois permettront d’apprécier la pratique des juridictions et de vérifier si l’objectif de l’ordonnance est atteint ou si, au contraire, il a été contourné avec l’apparition de nouveaux préjudices distincts (préjudice d’angoisse, préjudice moral, …), s’additionnant à l’indemnité encadrée.
Pour l’heure toutefois, il convient de faire preuve de la plus stricte vigilance à partir du moment où les mots de « harcèlement moral » auront été prononcés (ou en tous cas écrits…).