« Il n’y aura pas de réindustrialisation sans innovation »
Entretien avec Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance
Où en est la nécessaire réindustrialisation de notre pays ?
La réindustrialisation est là, pas encore massive mais la tendance est positive. Le changement considérable, c’est que nous avons gagné la bataille culturelle, avec un consensus national : près de 85% des Français sont maintenant en faveur de l’industrie[1].
Sur le terrain, on voit déjà les chiffres qui la démontrent : le solde des créations d’usines est redevenu positif. En 2023, 118 sites industriels ont été inaugurés (+ 55 % en un an), 7 600 emplois créés et 235 levées de fonds à vocation industrielle ont permis d’investir 4,18 Mds €[2]. Une réindustrialisation très diversifiée, qui va de la chimie à la valorisation de déchets, en passant par la production de batteries ou l’agro-industrie.
Pour autant, la tâche est devant nous : pour revenir à l’objectif de 12% d’industrie dans notre PIB à horizon 2035, il faut multiplier par deux notre rythme de réindustrialisation ! Cela permettra de gagner 233 Mds € de valeur ajoutée manufacturière supplémentaire et de créer 600 000 à 800 000 emplois, avec du potentiel pour des projets industriels dans tous les territoires.
L’innovation est la clé pour conquérir de nouveaux marchés. Comment accompagnez-vous les entreprises en la matière ?
Il n’y aura pas de réindustrialisation sans innovation. L’an dernier, nous avons doublé notre soutien à l’innovation avec 10 Mds € déployés sur l’année 2023, porté par le financement de projets stratégiques, la montée en puissance des appels à projets sectoriels et l’accélération du déploiement des nouveaux dispositifs en faveur de l’industrie.
Bpifrance est une énorme boîte à outils de financement et conseil en innovation. Grâce à notre maillage territorial de 50 implantations régionales, nous facilitons l’innovation au plus près des besoins et des spécificités du terrain. Le continuum de Bpifrance permet ainsi d’accompagner les start-up, mais aussi les TPE, PME et ETI de toute la France, pour leur permettre de déployer tout leur potentiel. Nous travaillons avec l’ensemble des acteurs économiques : partenaires bancaires, fonds d’investissement, Régions, CCIs. Les partenariats conclus avec les régions permettent de bénéficier de cofinancements sur mesure, à chaque étape de développement de l’innovation. Avec de forts enjeux en termes de compétences.
« Bpifrance a injecté 63 Mds € dans l’économie française en 2023. »
Bpifrance est l’un des partenaires majeurs de l’investissement des entreprises. Quelle est la portée de cet engagement ?
Partenaire de long terme des entreprises et au service de la compétitivité de l’économie française, nous avons développé un modèle d’investissement unique en son genre qui permet de déployer chaque année 4,5Md€ en fonds propres dans des entreprises de toute taille – de la start-up à la grande entreprise cotée, sur tout le territoire, dans tous les secteurs d’activité et filières clés pour l’économie française. Par ce modèle unique et protéiforme, Bpifrance se hisse au premier rang des investisseurs européens et deuxième mondial en nombre d’opérations menées[3], devant les grands investisseurs américains.
En accompagnant les entrepreneurs sur des durées longues, nous avons les moyens de soutenir leur stratégie, d’être actif dans la gouvernance et d’agir résolument comme un actionnaire constructiviste.
L’exportation est le point faible de notre économie. Comment enfin changer la donne ?
La réindustrialisation de notre économie est l’un des éléments clés. Pour être plus performant à l’international, il faut être en capacité de proposer des produits innovants et compétitifs qui font la différence. Pour cela, nous avons besoin de davantage d’entreprises industrielles qui soient capables de les concevoir et de les produire. À cela, doit s’ajouter une réelle volonté d’exporter. Or, jusqu’ici, toutes les entreprises françaises n’en font pas l’une de leurs priorités, par un manque de culture de l’export par rapport à leurs principaux concurrents européens. Pour insuffler ce désir d’export, nous avons déployé un porte-à porte de masse en proposant tout une palette d’incitations et de dispositifs d’aides à l’export, avec des équipes internationales au sein des directions régionales mobilisées auprès des entreprises. Un travail mené avec la Team France Export, qui s’appuie sur un réseau à l’étranger pour les faire gagner à l’international, ayant mobilisé 22 Mds € en 2023. Nous avons l’habitude de le dire aux entrepreneurs : « Allez vous faire voir ailleurs ! Osez l’export ! »
Face aux mutations en cours, qui suscitent parfois des craintes, vous avez choisi de faire du progrès le thème central de la 10e édition de BIG. Pourquoi avoir retenu cette thématique ?
Chez Bpifrance, nous aimons bien choisir des thèmes qui ont du sens, et qui ne font pas forcément l’unanimité. L’année dernière, nous avions retenu celui de la fierté qui est considérée comme un défaut par beaucoup, alors qu’elle constitue à nos yeux une belle qualité. Cette année, nous mettons sur le devant de la scène la notion de progrès, comme moteur de nos sociétés. Ces dernières années, les progrès ont été fulgurants dans bien des domaines comme la santé, les communications, les transports, le numérique. Et pourtant, une énorme machine de propagande fait entendre sa petite musique du déclassement et de la dangerosité des nouvelles technologies. La peur du progrès est le début de la décadence. Elle donne raison à ceux qui sont sans fécondité particulière et font preuve d’une hostilité radicale aux changements. Or la vie, c’est le changement. Ce sont donc des choses très importantes qui se jouent autour de la notion de progrès et il est important de le rappeler. Avec ce thème, nous affirmons notre croyance au progrès.
[1] Étude Bpifrance – Industrie et Territoires – Mai 2024
[2] Observatoire Bpifrance des Startups, PME et ETI industrielles innovantes – Mars 2024
[3] Données Pitchbook au 31 mars 2024
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