Julia Sedefdjian, cheffe du restaurant Baieta

La cuisine féminine n’existe pas

Crédit photo : @Social Kitchen

Il n’y a pas de cuisine féminine ou masculine. Il n’y a que deux cuisines qui s’opposent “la bonne et la mauvaise”.

J’ai débuté jeune en cuisine en réalisant des gâteaux avec le père de ma marraine, le mercredi après-midi. Ce rituel a nourri une passion qui s’est déployée vite. Elle m’a propulsé loin. Jusqu’à quitter ma ville natale – Nice – en quête d’une expérience parisienne, alors que je n’étais pas encore majeure.

Durant ces expériences, j’ai eu la chance d’être épaulée et encouragée par des mentors, qui ne m’ont jamais considérée comme une femme, mais comme une cuisinière. J’ai été confrontée aux mêmes difficultés, aux mêmes doutes, aux mêmes tâches que mes camarades masculins.

En 2016, j’obtiens à 21 ans ma première étoile alors que je prenais depuis quelques mois mon premier poste de chef. Cette reconnaissance soudaine et immédiate du guide, a fait porter sur mes épaules une responsabilité et un devoir.

Celui de prouver qu’il y a une place pour chacune d’entre nous. Qu’elle ne doit être dictée que par la détermination et le courage à déployer son talent. La cuisine n’est pas un genre, ni une compétition régie par les sexes. On oublie trop souvent que les Mères Lyonnaises ont aussi poussé de grands chefs masculins dans la gastronomie française.

Au quotidien, je ne ponctue pas mes assiettes de petites fleurs pour signer mon identité. La féminité s’affirme ailleurs : de l’art de recevoir aux amuse-bouches qui sont l’alliance des goûts de mon enfance, en passant par des mets affirmés, devenus aujourd’hui signature.

Des abats en tartine gourmande, de la bouillabaisse réinterprétée au pastis qui se retrouve en sorbet, je chéris une cuisine où les goûts rendent hommage à mes racines niçoises, sans trahir mes convictions.

La cuisine donne aux femmes l’opportunité de témoigner d’une autre facette, où il n’est pas uniquement question de sensibilité. La cuisine permet aux femmes de s’exprimer en montrant ténacité et rigueur – elles font leur entrée dans le cercle des étoilées. La volonté d’apprendre est croissante chez elles, pour gagner en liberté. De nouveaux visages sont aujourd’hui visibles et je me réjouis d’être rejointe par des personnalités talentueuses, comme autant de façons d’envisager la cuisine en étant cheffe.

Dans mon restaurant, la politesse n’est jamais superflue. Je me vois comme le ciment d’une équipe qui doit grandir ensemble, de la meilleure des façons possibles pour offrir autant de bonheur à nos clients que possible.

En étant cheffe mais aussi cheffe d’entreprise, je prône un management mixte. J’ai fait le choix avec mes deux associés, d’intégrer des équipes jeunes, aussi bien filles que garçons. Notre génération a intégré l’inclusivité, pour prouver que d’autres modèles étaient à inventer et mon rôle de cheffe est de les faire persister.

À nous de déjouer les stéréotypes, de nous emparer de la cuisine, de jouer des codes et de tordre le cou aux remarques sexistes. À nous de nous engager pour prouver que la cuisine n’a pas de sexe et qu’elle s’écrit avec la même exigence que l’on soit homme ou femme.

 

Bio:

Crédit photo : @Social Kitchen

Plus jeune cheffe étoilée de France en 2016, Julia Sedefdjian poursuit sa fulgurante ascension avec sa première table Baieta, ouverte depuis 2018. Originaire de Nice, Julia y fait son apprentissage auprès du chef David Faure (l’Aphrodite). À 16 ans elle remporte la finale régionale du concours des Meilleurs Apprentis de France. Elle débarque à Paris au restaurant Les Fables de la Fontaine en 2012 – à seulement 17 ans – et gravit les marches quatre à quatre : commis, demi-cheffe de partie, sous-cheffe et enfin cheffe de cuisine à 20 ans. Une évolution rapide qui va de pair avec la motivation de la cheffe. C’est avec elle aux fourneaux que ce restaurant gastronomique chic du 7e arrondissement opère sa transformation en profondeur, intégrant les codes d’une gastronomie plus accessible et les influences provençales chères à la cheffe. À 21 ans, elle conserve l’étoile du restaurant et se découvre à la France entière, admirant son parcours émérite.

À peine un an après l’ouverture du restaurant, la cheffe Julia Sedefdjian décroche sa première étoile au Guide Michelin 2019 à seulement 24 ans. Aujourd’hui Baieta fait peau neuve en mettant l’accent sur les origines niçoises de la cheffe, avec 3 menus où elle laisse sa créativité s’exprimer à travers une cuisine méditerranéenne minutieuse et juste.