Interview Laetitia Rouabah.
Comment êtes-vous devenue, en à peine 10 ans, chef de cuisine d’un bistrot légendaire ? Racontez-nous votre parcours.
Avecdu travail, du travail et encore du travail.Ma passion est venue très jeune, grâce à ma mère qui m’a appris l’amour des bons produits et la cuisine de tradition. Enfant, je me souviens encore des odeurs qui émanaient de la cuisine familiale.La cuisine est une véritable vocation, dès mon plus jeune âge, j’ai souhaité m’orienter dans cette voie.
En parallèle de mon brevet professionnel au CFA de la chambre des métiers de Versailles en 2001, j’ai fait mes armes en alternance en région parisienne dans deux restaurants de tradition qui proposaient une cuisine de terroir familiale et généreuse. En 2003, je suis entrée au Plaza Athénée, en qualité de demi-chef de partie au Relais Plaza auprès de Philippe Marc. J’ai alors découvert l’univers d’Alain Ducasse dans lequel j’évolue depuis.
Je suis partie pour Londres en 2007, au restaurant Alain Ducasse at the Dorchester, en tantque chef de partie. Je suis rentrée en France en 2008 pour intégrer les cuisines du Jules Verne dont je suis devenue chef adjoint aux côtés de Pascal Féraud. En janvier 2013, je suis devenue chef au Salon LaPremière Air France à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle. C’est là véritablement que j’ai pris mon envol, avant de rejoindre quelques mois plus tard Allard en qualité de chef.
Quel regard portez-vous sur les formations en alternance ?
L’apprentissage, pour les métiers de la cuisine, est primordial. Ce n’est que par ce biais qu’on apprend la réalité du monde du travail. Se former sur le terrain, c’est essentiel, c’est comme cela qu’on apprend la rigueur, la précision, la technique. L’alternance a vraiment été déterminante pour mon parcours, comme elle l’a été pour nombre de mes pairs. Dans notre secteur, elle est une voie essentielle vers la réussite professionnelle.
Dans l’imagination populaire, la gastronomie est un monde particulièrement masculin. Avez-vous eu des difficultés à vous imposer ? Avez-vous eu parfois l’impression qu’être une femme vous demanderait plus d’efforts ?
Je ne crois pas que ce soit plus difficile pour une femme que pour un homme de réussir dans le monde de la gastronomie. C’est un métier qui est dur, qu’on soit un homme ou une femme. Un métier qui demande beaucoup d’efforts, qui est très exigeant.
Le plus important dans un tel contexte, c’est l’envie de se surpasser.
Selon vous, quelles sont les qualités pour réussir dans ce milieu ? Quelle(s) personnalité(s) admirez-vous le plus ?
Pour réussir dans ce milieu, je dirais qu’il faut trois qualités principales. Déjà, évidemment, il faut être persévérant, se relever de ses échecs et aller de l’avant en permanence, sans jamais se satisfaire pleinement de la situation présente, pour tendre vers l’excellence.
Mais pour cela, il faut être passionné par la cuisine, car sans passion, on peut difficilement se donner entièrement pour un métier très exigeant. Et la passion, ca se ressent aussi dans la cuisine de qualité.
Enfin, je pense qu’on ne peut pas être un bon chef si on n’a pas le désir de transmettre et de partager son savoir et ses idées. On peut savoir bien cuisiner mais si le but est de le garder pour soi, cela ne sert absolument à rien.
En cela, j’ai énormément d’estime pour Alain Ducasse qui m’a tout appris. Pour moi, c’est véritablement le meilleur. Mais aussi pour Pascal Féraud qui m’a fait énormément progresser au Jules Verne grâce à son professionnalisme, sa rigueur et sa grande pédagogie. Si j’en suis là aujourd’hui c’est grâce à ces deux chefs d’exception.
Allard, institution fondée en 1932, est connu pour une tradition de femmes chefs. Est-ce important pour vous, d’être ainsi l’ambassadrice d’une tradition ? Que souhaitez-vous apporter ?
Je souhaite y apporter une touche personnelle sans changer pour autant l’identité profonde de la Maison qui me correspond : une cuisine simple, familiale et généreuse.
Allard est connu pour sa tradition féminine : fondé en 1932 par Marcel Allard, c’est Marthe, son épouse, qui était derrière les fourneaux, avant que ne lui succède sa belle-fille, Fernande. Elles s’inscrivent toutes deux dans la lignée des « mères cuisinières » qui réalisent une cuisine d’instinct dans laquelle dominent avant tout la simplicité et la qualité.
Quand Alain Ducasse a souhaité reprendre ce bistrot en 2013, c’était avant tout pour perpétuer la tradition et préserver le caractère et la personnalité unique de ce restaurant. C’est un honneur qu’il m’ait choisi comme chef. Chaque jour, nous travaillons avec les meilleurs produits. C’est un bistrot dans lequel on se sent bien.