Leader mondial de la gestion de l’énergie et de la digitalisation industrielle, Schneider Electric est au centre des enjeux de la transition énergétique et de la notion même d’efficacité énergétique dont l’importance est accélérée par la crise actuelle. Rencontre avec son PDG, Jean-Pascal Tricoire.
Alors que les experts du GIEC prévoient désormais que nous avons seulement trois ans pour inverser la courbe des émissions de gaz à effets de serre, quels sont les leviers prioritaires qu’il est possible d’activer rapidement pour atteindre ces objectifs ?
Les rapports du GIEC sont extrêmement clairs : le changement climatique « s’accélère et s’intensifie ». Nous savons que la réduction des émissions de gaz à effet de serre est la meilleure façon de le ralentir.
Cette urgence climatique se double depuis le début de la guerre en Ukraine d’une urgence énergétique. Les impacts de ces deux faits majeurs sont tangibles sur le climat mais également de façon très concrète et immédiate sur nos équilibres économiques, notre résilience et notre souveraineté. Face à ces défis, nous n’avons aujourd’hui ni la bonne trajectoire, ni la bonne vitesse. Nous ne pouvons plus remettre nos initiatives à demain. Il faut drastiquement accélérer : aller 3 fois plus vite – dans les dix prochaines années et pas dans les trente – et agir 3 fois plus – économiser trois fois plus de carbone que ce que prévoient actuellement les engagements des uns et des autres. La bonne nouvelle est que l’utilisation de nouvelles technologies, existantes et industrialisées, permet de changer totalement notre approche avec des retours économiques rapides, et encore plus courts au prix actuel de l’énergie. En termes simples, le vade-mecum de la décarbonation est clair : efficacité énergétique, électrification des usages, énergies bas carbone et renouvelables et flexibilité.
Pour nos entreprises, cette urgence est accentuée par l’impact économique que représente l’énergie sur nos équilibres financiers et notre capacité à opérer, ainsi que par la nécessité, bientôt réglementaire, de reporter nos émissions de carbone.
L’électrification jouera un rôle central dans la transition énergétique. Comment Schneider Electric entend-il accompagner cette montée en puissance ?
Aujourd’hui l’électricité représente seulement 20% de la consommation mondiale d’énergie. Cette part va doubler d’ici 20 ans car c’est la seule énergie qui permet la décarbonation. Dans ce laps de temps, il y aura plus d’investissement dans l’électricité que depuis son invention il y a plus d’un siècle. La mobilité en est l’exemple le plus visible, avec le début de la transition vers le véhicule électrique. Mais ce n’est pas le seul. La régulation énergétique des bâtiments et des maisons sera électrique. La production d’énergie sera aussi plus décentralisée. Nous réalisons de plus en plus d’installations de production électrique, que ce soit sur les toits de maisons, de bâtiments, ou au pied de campus industriels.
Ensuite, les priorités sont claires : la sobriété et l’efficacité énergétique tout d’abord, puis la décarbonation de la production d’électricité, avec beaucoup plus de renouvelables, et de flexibilité. Les sources d’énergie propres ne représentent encore qu’une fraction du mix énergétique mondial. Les investissements massifs, les progrès technologiques et les politiques proactives dans de nombreuses régions du monde les ont rendues compétitives. L’éolien et le solaire, omniprésents de Chine jusqu’en Californie, génèrent ainsi de l’électricité moins chère que les centrales à charbon. Leur principal inconvénient – leur intermittence – est désormais beaucoup plus gérable, grâce au digital qui permet de faire dialoguer les sources de production et les usages (chargement de batterie, chauffe-eau, production de chaleur).
Le digital a ainsi un rôle clé à jouer en équilibrant mieux l’offre et la demande, autrement dit en flexibilisant la demande en électricité. Pour le résidentiel, il s’agit d’introduire un signal prix fortement incitatif pour consommer au moment le plus propice, et des systèmes connectés qui pourront piloter la consommation. Pour le tertiaire et l’industrie, il faut urgemment déployer des solutions digitales pour l’effacement et le pilotage des consommations d’énergie. C’est de cette manière que nous pourrons écrêter les pointes de consommation et garantir la résilience de notre réseau.
« Les priorités sont claires : la sobriété et l’efficacité énergétique tout d’abord, puis la décarbonation de la production d’électricité, avec beaucoup plus de renouvelables, et de flexibilité. »
Pour réussir cette mutation, la sobriété et l’efficacité énergétique seront les maîtres-mots. Quelles sont les principales pistes que Schneider Electric explore pour y parvenir ?
La sobriété doit être la priorité pour tous. Elle n’a que des avantages : moins de coûts, moins de dépendance, moins de pollution et de carbone… pour des performances et un confort identiques, ou meilleures. Qui se plaint que nos voitures actuelles consomment trois fois moins de carburant qu’avant le premier choc pétrolier, tout en étant pourvues de multiples fonctions nouvelles ? Nos bâtiments et usines n’ont pas suivi une trajectoire équivalente malheureusement. Dans la lutte contre le changement climatique, l’efficacité énergétique est sans doute le levier le moins bien compris et donc le moins utilisé. Ses effets étant répartis sur des milliers d’actions et de sites, l’efficacité énergétique est plus difficile à visualiser, donc à encourager. Pourtant son impact sur la réduction des coûts et émissions est de loin la meilleure. Et nul besoin de souligner qu’en période d’hyper-inflation énergétique, les entreprises les plus sobres et efficaces disposent d’un avantage concurrentiel fondamental. Le futur de l’efficacité énergétique repose sur les nouveaux systèmes de gestion basés sur l’Internet des Objets (IoT) qui ajustent automatiquement le chauffage et les autres systèmes consommateurs d’énergie grâce à une intégration des données en temps réel. La mise en œuvre de ces systèmes est très rapide, met immédiatement les gains en lumière, et permet de gérer les effacements en période pointe. Dans le domaine industriel, l’industrie 4.0 doit être couplée à une démarche d’énergie 4.0 : l’automatisation et les softwares peuvent optimiser en même temps les processus et la consommation d’énergie pour améliorer à la fois productivité et empreinte énergétique.
Depuis près de quinze ans Schneider Electric développe et déploie pour ses clients des solutions digitales qui leur permettent d’intégrer gestion de l’énergie et process, de connecter leurs installations pour en piloter la performance et la fiabilité, de digitaliser l’ensemble tout au long du cycle de vie, du design à la construction et aux opérations, d’intégrer l’ensemble de leurs sites dans un tableau de bord, et de choisir à tout moment la meilleure source d’énergie, la plus économique et la moins carbonée. Nous ne cessons d’enrichir ces possibilités, notamment dans les softwares. La digitalisation est la clé de voute de la sobriété énergétique, de la flexibilité, et de la performance. Elle change fondamentalement les manières d’envisager les défis auxquels sont confrontés les entreprises.
« La digitalisation est la clé de voute de la sobriété énergétique, de la flexibilité, et de la performance. »
Comment concrètement votre groupe accélère-t-il sa transition verte ?
En 2025, nous voulons être neutres en carbone sur les scopes 1 et 2 c’est-à-dire les émissions et les consommations d’énergie de nos propres sites. En 2030, nous visons sur ce même scope le « net zéro », sans compensation, et en 2050, le net zéro sur l’ensemble de notre supply chain (incluant le scope 3). De plus, chaque année, nous faisons déjà économiser à nos clients plus que ce que nous émettons en carbone sur l’ensemble de nos scopes 1, 2 et 3, c’est-à-dire environ 100 millions de tonnes. Pour éviter la confusion, nous n’intégrons jamais ces réductions pour nos clients dans notre propre bilan carbone. De plus, nous avons mis en place un programme d’accompagnement, le « projet zéro carbone » : nous accompagnons nos 1 000 principaux fournisseurs dans la réduction de 50% de leur empreinte carbone d’ici 2025.
Nous sommes aussi fortement engagés dans la formation pour soutenir cette transition en développant, en partenariat avec les écoles, les compétences utiles pour mettre en œuvre les solutions. Ne nous trompons pas : le plus gros obstacle à cette transition est humain. Il faut que toutes les parties prenantes donnent la priorité aux nouvelles technologies dont nous venons de parler et que nous formions les filières et les talents qui développeront des entreprises à forte croissance dans ces domaines. Chaque transition est aussi une opportunité.
Qu’attendez-vous de la feuille de route gouvernementale en matière de transition écologique ?
Les enjeux de court terme, économiques, et de long terme, climatiques, sont aujourd’hui alignés pour nous lancer sans regret dans une transition énergétique d’envergure. La crise énergétique à laquelle l’Europe fait face, sa vulnérabilité aux crises d’approvisionnement et à un prix très élevé des énergies imposent des actions claires ainsi qu’une remise en cause profonde de nos dogmes et des réglementations qui brident cette transition. La priorité est à la sobriété et à l’efficacité, à l’électrification, à la production bas carbone et à la flexibilité. Les pouvoirs publics et les collectivités locales ont un devoir d’exemplarité sur leurs parcs immobiliers qui demeurent trop énergivores. Les pouvoirs publics doivent permettre par ailleurs des actions rapides dans ces domaines en simplifiant et incitant les actions de transformation et redonner de l’espace pour entreprendre et innover. Les solutions existent. Ouvrons la voie aux entreprises et aux citoyens français pour les déployer.
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