Mis sur orbite par la crise sanitaire et le confinement, de nouveaux modes de travail déjà présents ces dernières années, devraient s’imposer durablement et entrainer des changements plus profonds qu’on ne l’imagine.
« Avant la crise le télétravail ne concernait qu’une minorité de salariés : 7 à 10%. C’était davantage une facilité offerte à une poignée de collaborateurs », se souvient Bruno Mettling, ex DRH d’Orange et fondateur du cabinet Topics. La Covid-19 a fait basculer l’anecdotique en une nouvelle règle, avec 84% des salariés convertis bon gré mal gré au plus fort de la crise à ce nouveau mode de travail. Est-ce à dire pour autant qu’il va s’installer durablement dans le paysage ?
Le télétravail – nouvelle norme ?
Certains se montrent encore sceptiques, à l’image d’Alain Rallet, économiste et professeur à l’université Paris-Saclay. « C’est une vieille lune qui ressurgit tous les dix ans », soupire-t-il. Mais beaucoup d’autres pensent qu’un cap a bel et bien été franchi, comme Gilbert Cette, professeur d’économie à l’université d’Aix-Marseille et coauteur avec Jacques Barthélémy de « Travailler au XXIe siècle » (éd. Odile Jacob). « Nous ne reviendrons jamais en arrière », assure-t-il, « la mutation est enclenchée et elle aura de nombreuses conséquences sur le monde du travail ». Une affirmation que nuance quelque peu Benoît Serre, Vice-président de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). « Le passage au télétravail à 100% me parait peu probable, les salariés devront tout de même revenir de temps en temps au bureau, car il ne faudra pas casser totalement la vie de l’entreprise ». Selon lui, toutes les sociétés n’épouseront pas cette nouvelle organisation et la plupart des salariés concernés ne l’adopteront sans doute que quelques jours par semaine pour maintenir les interactions si indispensables au bon fonctionnement des équipes. Mais cela suffira à provoquer beaucoup de bouleversements dans notre quotidien et dans notre économie. Huit cadres sur dix pensent d’ailleurs que la crise sanitaire va profondément changer leurs pratiques professionnelles, selon un sondage Kantar pour la CFDT (janvier 2021).
Une logique collaborative renforcée
Si jusqu’ici seule une poignée d’entreprises avaient expérimenté le flex office, une fois le virus chassé (bureaux partagés et maladie contagieuse ne font pas bon ménage), il pourrait très vite gagner du terrain. « Une partie de l’espace devrait être reconvertie en lieu de rencontre », prévient Amandine Dumont, directrice exécutive de CBRE, l’un des principaux groupes de conseil en immobilier d’entreprise. Les moments passés au bureau devraient privilégier de plus en plus les tâches collectives et la cohésion des équipes plutôt qu’un travail individuel devant son ordinateur. C’est ce qui se passe déjà chez Workday, un spécialiste américain du cloud, adepte de longue date du télétravail. « Tout notre aménagement intérieur a été pensé selon cette logique collaborative », témoigne Jérôme FromentCurtil, le directeur général de son antenne française, ravi du résultat. Avec de premiers effets sur l’immobilier d’entreprise.
Une hybridation des lieux de travail
« On observe une réduction des surfaces recherchées et une plus grande demande de modularité », remarque Amandine Dumont. L’environnement des quartiers d’affaires pourrait s’en trouver modifié avec une baisse de la demande de services (restauration, commerces, bien-être). Des espaces de
coworking en périphérie des villes ont déjà fait leur apparition pour rendre les déplacements vers les sièges moins fréquents. Generali, Crédit Agricole ou Capgemini en ont déjà fait l’expérience. « On va assister à une hybridation des lieux de travail. Les gens vont pouvoir travailler dans leur entreprise, à proximité de leur client ou à domicile. On n’ira plus tous les jours au bureau », estime Christophe Burckart, directeur général d’IWG France, le leader mondial de l’espace de travail avec 3 500 sites dans le monde dont 128 en France. « Les espaces de coworking ont connu une hausse historique de la demande de 30% en septembre 2020, pour répondre aux besoins de flexibilité totale des entreprises et notamment des TPE et PME, à la recherche de locaux pour leurs collaborateurs comme alternative au télétravail à domicile », ajoute-t-il.
Le freelancing gagne du terrain
Le statut d’indépendant s’affirme en parallèle du salariat. De plus en plus de talents s’affranchissent des contrats de travail classiques et se positionnent non plus comme des employés, mais comme des prestataires externes. Une tendance à prendre très au sérieux par les entreprises pour enrichir leur panel de talents et répondre à leurs besoins de flexibilité. Aux États-Unis, il y a même davantage de freelances que de salariés en CDI ! En France plus de 930 000 freelances ont été recensés en 2019 selon l’étude de Malt communauté de freelances du numérique, soit une progression de 145% en 10 ans. 50 000 personnes franchiraient ainsi le cap du freelancing chaque année ! Même si 90% des freelances ont choisi ce statut par choix et non par obligation, le phénomène devrait s’accélérer avec la crise économique, certains salariés victimes des difficultés de leur entreprise y trouvent le moyen de reprendre au plus vite une activité. En ce domaine les hommes sont plus nombreux que les femmes (54% vs 46%) et 80% des freelances travaillent à temps plein. Corollaire de ces évolutions, le flexi-travail, qui consiste à aménager les horaires de travail pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée devrait lui aussi se développer notamment pour attirer et retenir les nouveaux talents qui veulent bénéficier de davantage de souplesse.
Paru dans #MagCAPIDF 72