Par Stéphanie SERROR
Avocat à la Cour
Cabinet La Garanderie & Associés
L’importance du rôle des partenaires sociaux
Le recours à une entreprise de portage salarial pour la réalisation d’une mission particulière présente manifestement d’importants avantages mais aussi des inconvénients voire des risques.
Le statut de ces salariés « portés », qui sont eux-mêmes amenés à démarcher des entreprises en vue de mettre à disposition leurs compétences, doit donc être connu pour être apprécié.
Il a fallu attendre la Loi du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail, pour qu’un cadre juridique du portage salarial soit enfin légalement fixé.
Le mécanisme n’est pourtant pas nouveau : né dans les années 80 comme palliatif au chômage des cadres et louvoyant depuis plus de 30 ans entre le prêt de main d’œuvre illicite et l’intérim, entre le travail salarié et l’activité indépendante, le portage salarial s’est développé en marge du droit.
Aujourd’hui et selon les dernières estimations, le portage salarial concernerait environ 30.000 personnes (15.000 équivalent temps plein), dans des secteurs comme l’informatique, la communication, le marketing, la formation, l’activité d’agent commercial…
Si l’encadrement légal de ce mécanisme s’est sensiblement amélioré au cours de ces trois dernières années, il reste que celui-ci connaît encore quelques fragilités comme le rappellent de récentes décisions de la Cour de cassation.
La progressive reconnaissance légale du portage salarial
- Après que la CFDT, le SNEPS (Syndicat National des Entreprises de Portage Salarial créé en janvier 1998) et la Chambre de l’ingénierie et du Conseil de France eurent signé, le 26 novembre 2007, un accord qui encadre la pratique du portage salarial dans l’informatique, l’ingénierie et le conseil, destiné à apporter des garanties pour les salariés portés et à encadrer la pratique du portage, l’article 19 de l’ANI du 11 janvier 2008 a prévu un certain nombre de dispositions destinées à sécuriser le portage salarial.
- C’est ainsi que la loi du 25 juin 2008 est venue consacrer le dispositif du portage salarial, en l’introduisant dans le code du travail, à l’article L 1251-64, par une simple définition, qui figure dans le code sous la section consacrée aux entreprises de travail temporaire.
La définition légale du portage salarial
Le portage est défini comme « un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l’entreprise de portage. Il garantit les droits de la personne portée sur son apport de clientèle ».
Il s’agit donc d’une relation « triangulaire » entre une entreprise de portage, un salarié « porté » et une entreprise cliente, qui n’est pas sans rappeler celle de l’intérim.
C’est pour cette raison que l’accord du 11 janvier 2008 a confié à la branche du travail temporaire le soin d’organiser le portage salarial.
La loi du 25 juin 2008 a conforté cette décision en précisant que « pour une durée limitée à deux ans à compter de la publication de la présente loi, un accord national interprofessionnel étendu peut confier à une branche dont l’activité est considérée comme la plus proche du portage salarial la mission d’organiser, après consultation des organisations représentatives des entreprises de portage salarial et par accord de branche étendu, le portage salarial ».
Le portage salarial se démarque néanmoins de l’intérim sur deux critères :
- L’action commerciale est faite par l’intervenant et non par la société de portage.
- Le porté n’a aucun lien de subordination avec l’entreprise cliente, qui est cliente de la seule société de portage.
Le portage salarial n’est assurément pas un délit
La même loi a modifié l’article L 8241-1 du code du travail pour exclure expressément le portage salarial du délit de prêt de main d’œuvre à but lucratif. C’était en effet un risque qui entravait le développement de ce dispositif.
Le principal inconvénient du portage salarial pour le salarié porté : son coût
Une entreprise de portage salarial se rémunère en prélevant 10% en moyenne des honoraires facturés à l’entreprise cliente. C’est sur le montant restant qu’il faudra ensuite calculer les cotisations sociales (patronales et salariales).
Au final, la rémunération nette perçue par le salarié porté s’élève à la moitié du montant facturé HT.
Ainsi, pour des honoraires facturés à 1.000 € HT, seront déduits :
– 10% en moyenne au titre de la commission de la société de portage (100 €);
– 25% en moyenne de charges patronales (250 €);
– 15% en moyenne de charges salariales (150 €)
Soit une rémunération nette, pour le « porté » de 500 €.
Les avantages du portage salarial
Néanmoins, le portage salarial présente de nombreux avantages au nombre desquels on peut citer :
– L’autonomie dont dispose le salarié « porté »
Cette autonomie se traduit notamment à trois niveaux :
– dans le cadre de sa mission : il réalise sa prospection commerciale, négocie avec ses clients la durée de ses contrats, le contenu de la mission et le montant de ses honoraires (qui seront facturés par la société de portage salarial selon les indications et conditions de vente négociées),
– dans la fréquence de ses missions : il est libre du rythme d’acceptation de celles-ci ;
– vis-à-vis de la société de portage salarial qu’il peut quitter à sa convenance, tout en conservant sa « clientèle ».
– L’absence de formalités administratives pour le salarié « porté » durant sa mission
Les sociétés de portage salarial prennent en charge l’ensemble des déclarations, souvent ingrates pour les consultants qui sont ainsi libérés des formalités administratives et sociales et peuvent se consacrer à leurs principales tâches.
– Le statut de salarié du « porté » et le bénéfice de l’assurance chômage
Alors que l’article L 1251-64 vise le régime du salarié sans qualifier cette relation de contrat de travail.
La Cour de Cassation, dans un arrêt du 16 décembre 2009, a conclu à l’existence d’un contrat de travail et par conséquent a reconnu le droit aux allocations chômage d’une salariée portée, ayant été préalablement licenciée d’une société de portage.
Au regard des critères dégagés (compte rendu d’activité à l’entreprise, droit de regard de cette dernière sur les clients et possibilité pour la société de mettre fin au contrat liant la salariée si elle n’apportait pas de nouvelles missions), la Cour en a déduit l’existence d’un lien de subordination, notion essentielle à la caractérisation d’un contrat de travail.
Vers une sécurisation des salariés portés ou une remise en cause du portage ?
Par deux arrêts rendus le 17 février 2010, la Cour de Cassation a sérieusement ébranlé le dispositif du portage salarial.
Bien que le principe même du portage soit de laisser au « porté » le soin de prospecter des clients, de définir le cadre de sa mission, et de déterminer le montant de sa prestation, la Chambre sociale a considéré que « ces contrats sont soumis aux règles d’ordre public du droit du travail », avec, par conséquent, toutes les incidences qui y sont attachées.
(i) Dans le premier arrêt, elle a en effet estimé que la société de portage, en qualité d’employeur, est tenue de fournir du travail à son salarié. Dès lors, elle n’est pas fondée à le licencier au motif qu’il est demeuré sans activité pendant deux mois, quand bien même il aurait souscrit l’engagement de rechercher ses missions et de les exécuter dans le respect des règles en vigueur dans son domaine d’activité.
(ii) Dans le second arrêt, le contrat de travail du porté prévoyait une durée de travail minimale « symbolique », la durée réelle ne pouvant être planifiée car variable et dépendante de l’activité développée par le salarié, selon les missions qu’il trouve de lui-même. La Cour a considéré qu’il s’agissait d’un contrat de travail à temps partiel qui doit mentionner la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois et que l’employeur ne pouvait déroger à cette règle (sauf circonstances particulières au nombre des quelles ne figure pas le portage salarial). Le contrat a donc été requalifié de ce chef en contrat à temps complet, le salarié pouvant ainsi obtenir le paiement des rémunérations qu’il aurait perçues à temps complet.
La flexibilité qui a fait l’essor du portage salarial se heurte incontestablement au réflexe de la Chambre sociale de ne pas s’éloigner, en toute circonstance, des régimes de droit commun afin de ne pas risquer de cautionner des pratiques qui, pour être différentes, rendraient possible tous les abus.
Ces positions étant désormais connues, il reste aux partenaires sociaux le soin de fixer un cadre à la fois respectueux des droits des salariés portés mais préservant aussi le dispositif de portage. Les négociations sont en cours ….
Le portage répondant à un véritable besoin, formons le vœu que les partenaires sociaux apportent toute sécurité juridique et une structure d’organisation convaincante lors d’un contrôle juridictionnel.