Osons voir grand !
Si aujourd’hui plusieurs médias d’envergure, et notamment publics, ont des femmes à leur tête, chacun sait qu’il s’agit là d’une évolution plutôt récente, dans un milieu encore assez masculin. À la tête du journal La Tribune, j’étais la première femme propriétaire et dirigeante d’un quotidien national en France, et c’était en 2010, il y a à peine plus de 10 ans… J’avais d’ailleurs à cette époque co-écrit une tribune intitulée Une « Tribune des femmes » – Et si Lehman Brothers s’était appelé Lehman Sisters… qui évoquait déjà cette question de la faible présence des femmes dans le secteur de la presse comme des finances.
Dirigeante de la régie publicitaire MEDIATRANSPORTS depuis 2016, avec un CODIR paritaire, je mesure aujourd’hui les progrès indéniables des dernières années en termes d’accession des femmes aux postes à responsabilité, mais aussi le chemin restant. À mes yeux, un des leviers d’amélioration est aussi entre les mains des femmes elles-mêmes ; à savoir la capacité à oser, à croire en ses capacités, à prendre des risques. Tout au long de mon parcours, j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs personnes – souvent des hommes d’ailleurs – qui m’ont fait confiance et qui ont vu en moi je crois une motivation sans faille, une propension à oser, à tenter, à agir, même quand cela ne semblait pas gagné d’avance… Mais je crois malheureusement que ce goût du risque est culturellement encore trop masculin. Le sujet est sans aucun doute sensible, car il renvoie à des questions profondes d’éducation, que ce soit dans le milieu familial ou scolaire d’ailleurs.
Je crois aussi que c’est une des raisons qui expliquent aujourd’hui la sous-représentation des femmes dans le milieu de la tech et des start-up. Selon le baromètre SISTA/Conseil du numérique de février 2021, en 2020, 79 % des start-up étaient fondées exclusivement par des hommes, à peine moins qu’en 2019, où le chiffre s’élevait à 83 %… En termes de levée de fonds, 91 % des fonds levés en 2020 l’ont été par des équipes masculines. Plus encore, en financement moyen, les start-up créées par des hommes levaient des montants 2,3 fois plus importants que celles fondées par des femmes. Bien sûr, la proportion de femmes dans les cursus scientifiques de l’enseignement supérieur (28,7 % dans les écoles d’ingénieurs pour l’année scolaire 2020/21 selon le ministère de l’Enseignement supérieur) explique sans doute pour partie ces différences.
Mais au-delà, on peut aussi probablement y voir des ressorts comportementaux dans la manière d’aborder l’entreprenariat. Selon différents travaux documentaires consolidés par Bpifrance dans son rapport sur la place des femmes dans le paysage de la création d’entreprise, les femmes sont considérées comme ayant une « bonne gestion de leur entreprise, prudente et économe », avec aussi comme corolaire une plus « grande aversion au risque ». Quand on sait que la prise de risque est souvent un des moteurs des croissances éclairs de certains acteurs de la tech et des levées de fond qui les soutiennent, difficile de ne pas voir un lien de cause à effet sur le sujet…
Alors oui, il faut continuer à soutenir sans relâche l’entreprenariat féminin, et notamment dans le secteur porteur que constitue le numérique, et nombre d’acteurs font d’ailleurs déjà un travail formidable en la matière. Mais de notre côté, en tant que femmes, nous devons parfois aussi dépasser nos a priori initiaux, tenter, échouer et rebondir, en un mot : oser ! Et même oser voir grand et ne pas avoir de doute sur notre capacité à réussir !
Biographie
Experte de l’univers des médias et de la publicité, Valérie Decamp dirige le groupe MEDIATRANSPORTS depuis octobre 2016. Elle a précédemment, de 2008 à 2013, dirigé le quotidien économique et financier La Tribune. En 2002, elle a lancé et développé le quotidien METRO en France et en a fait le premier journal gratuit rentable. Elle a auparavant occupé plusieurs postes au sein du groupe NRJ, et notamment celui de Directrice de la Stratégie du groupe.
Valérie Decamp est Chevalier de l’Ordre National du Mérite et Chevalier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur.
Elle siège également au Conseil d’administration de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP).